Toujours si inspirée et défiant tout passéisme depuis 20 ans, la pop intensément calme des vétérans post rock de Chicago.


Nous avions un peu négligé The Sea & Cake, cette vénérable institution de la scène indépendante de Chicago. Très précisément depuis le pourtant brillantissime Everybody en 2007. Et c’est non sans remords que l’on mesure, pour son symbolique dixième album, combien la formation dirigée par l’ex Shrimp Boat, Sam Prekop, n’a de cesse de redéfinir avec inspiration les contours de sa musique, au carrefour du post-rock et de la pop Ajaesque de Steely Dan (si si !)…

Le quatuor soudé autour de son compositeur/chanteur Sam Prekop, Eric Claridge (basse, ex Shrimp Boat), Archer Prewitt (guitare/piano, ex Coctails) et le non moins notoire John McEntire (batteur/producteur , Tortoise) a rarement perdu le nord en 18 ans d’activité. The Sea and Cake continue inlassablement de défricher des territoires où la mélodie n’ose que trop rarement s’aventurer. Une démarche expérimentale indéfectible – en dépit voire à contre-courant des modes –garante d’une modernité perpétuelle.

Guitares claires et crues, volume de saturation minimale, séquences cryptiques et claviers contemplatifs, une voix presque inaudible car tellement docile… Runner pourrait donner l’apparence d’un marbre froid et lisse. Au préalable, il convient d’examiner la nervure du bloc pour comprendre toute son architecture complexe, et qu’enfin s’y révèlent ses fabuleux sous-reliefs. Il devient ensuite difficile de résister à son intense luminescence. Tiré de démos composées par Sam Prekop uniquement aux synthés pour un projet de musique de film, ces dix titres sous l’impulsion du quatuor ont mué vers une matière organique plus malléable, guitares et batterie ayant investi la partie. La relation étroite guitare/claviers n’est certes pas nouvelle, mais elle est traitée ici avec une intelligence rare.

Runner pourrait sembler au premier abord hermétique, mais cette monotonie apparait seulement aux oreilles qui ne s’attardent pas sur les détails. Il est vrai que si pop il y a chez The Sea and Cake, celle-ci se doit d’être concise, plutôt même pointue qu’arrondie. La production chirurgicale de John McEntire semblerait presque anesthésier les mélodies, emportées par les textures du groupe. Et pourtant, c’est tout le contraire. « Harps », après une minute d’apesanteur instrumentale, laisse s’infiltrer un refrain irrésistible. « The Invitations » dévie délicatement de ses nappes atmosphériques au bout de deux minutes trente pour une danse kraut songeuse. « On and On », avec ses accords électriques distendus sous une batterie soutenue, est un petit bijou mélodique tournant simultanément à deux vitesses. On se laisse plus facilement happer par l’acoustique « A Mere » ou encore l’évidence mélodique de Pacific. Surprise, « Neighbors and Township », est bel et bien un morceau de rock nerveux, à l’écriture parfaite.

Pop, post-rock, ambient, post-punk, americana, jazz, musique minimaliste… The Sea and Cake ne rentre dans aucune catégorie musicale, car le quatuor est tout cela à la fois. A peine oserait-on émettre quelques accointances soniques avec Windsor for the Derby, autre formation résistante des années 90, voire peut-être un Pinback qui exécuterait des figures sans filet…
Chicago, incroyable ville musée des premiers gratte-ciels, continue décidément d’inspirer ses musiciens locaux. Ce n’est pas pour rien qu’un des morceaux de Runner s’intitule « Skyscraper ».

« Harps » en écoute :