La moitié du duo Thousand & Bramier livre en solo une belle moisson de folksongs sédentaires. Du haut des ses Flying Pyramids, les monuments de l’americana que sont Will Oldham et Smog le contemplent, nostalgiques.
Même si notre gorge n’était pas encore sèche, toujours ivres, rassasiés que nous étions par l’exquis Go Typhoon de Thousand & Bramier sorti en décembre, une nouvelle tournée payée par Stéphane Milolevitch, l’homme derrière Thousand, ne se refuse pas : son gosier exceptionnel d’où il tire une voix raclée comme du crépis centenaire, a immanquablement le don de nous faire dresser les poils. Une maturité d’autant plus étonnante que révéler son âge serait alors parfaitement indécent. Assuré par cette arme vocale prodigieuse, quelque part entre Howe Gelb et Matt Berninger, Thousand ajoute un cachet incomparable à ces belles étreintes americana. Et par-dessus susciter de cruels complexes à d’autres formations issues de la même grange country/folk parisienne.
Vu la qualité de cette livraison et des précédentes sous Thousand & Bramier, on paierait cher pour mettre la main sur son premier opus solo, 40 miles of Rough Road (2008), seulement pressé à 100 exemplaires, et donc introuvable. Même si The Flying Pyramid fleure bon la prise en solitaire minimaliste, Thousand n’est pas vraiment ce qu’on peut qualifier d’ermite des champs. Pour preuve, lorsqu’il ne s’active pas en solo ou avec son compère Guilhem « Bramier » Granier, ce multi-instrumentiste accompli soutient sur scène quelques estimés camarades issus du microcosme folk alternatif français. On a pu ainsi le croiser avec l’exilé Perio, Pokett, ou H-Burns — pour qui, s’improvisant homme-orchestre, on l’a vu alterner pêle-mêle banjo, pedal-steel ou encore batterie. Cet état d’esprit enclin au partage se prolonge sur ce disque, certes en solitaire, mais généreux et lumineux.
Ceux qui regrettent le temps où Will Oldham ne se regardait pas le nombril, conforté par son génie prolifique en roue libre, ou le Bill Callahan à huis clos des débuts (qui lui, pour le coup, ne cesse de nous épater), gagneront assurément avec The Flying Pyramids une précieuse amitié. En épicurien de l’americana radieuse et aride, voire irradiée, Thousand se contente de peu, mais nous procure énormément. Seul avec pour seul pare-balle une guitare sèche, un banjo — parfois nimbé d’un coulis de bottleneck nashvillien ou un harmonica soufflant mélancolie — Dieu sait qu’il en faut pour s’imposer. Dans cette catégorie de songwriting filtré, l’erreur ne pardonne pas. Simplement, Thousand avec ses compositions qui visent à l’essentiel — l’émotion donc — franchit insolemment tous les barrages et émeut.
Par son sens de la mélodie avenante mais sans esbroufe (son grain particulier, encore une fois, joue beaucoup sur The Flying Pyramid, blues champêtre enjoué) et son jeu en picking feutré et intense (“Ready & Willing”), Stephane Milolevitch a définitivement plus d’une corde à son banjo. Il y a aussi “Runaway Blues”, un duo qui remue les tripes, dans la grande tradition parsonienne avec Caroline Gabart alias « Boy » dans le rôle d’Emilou Harris. Seul point qui trahit peut-être son jeune âge, Thousand n’est pas encore un grand parolier, mais il se rattrape en signant de petites accroches mélodiques qui font mouche (“ Giant Rainbows light up the sky, up the sky, up the sky… ”). Quant à Guilhem Granier, son fidèle alter-ego, il n’est jamais guère loin et se charge de la dernière étape studio, celle délicate du mastering, comme s’il lui donnait sa bénédiction avant de voler de ses propres ailes.
– A écouter, le morceau « Giant Rainbows » :
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