Peu de gens le savent et le secret aurait tendance à s’entretenir, mais le fait est là : Carl Newman est un génie. Au rayon pop songs éternelles, peu de contemporains arrivent à la cheville du leader des New Pornographers. Il nous le prouve encore, cette fois en solo, avec The Slow Wonder, véritable feu d’artifice de mélodies accrocheuses et d’arrangements détonants dans la pure tradition sixties.


Peut-être que le secret de l’art de Carl Newman repose dans son sourire permanent. Le jeune homme roux possède en effet le même regard innocent, dénué de toute mauvaise onde, que possède ses enfants à qui on vient d’offrir une glace. Peut-être que tout est bien là pour expliquer cette musique à la fois si innocente et pourtant si complexe à recréer. Carl Newman en est devenu l’un des maîtres et son art à tendance à se bonifier avec le temps. Rencontre avec un grand enfant.

Qu’est-ce qui t’a décidé à enregistrer un album solo ?


Carl Newman : Et bien, j’avais beaucoup de temps libre. Avec les New Pornographers nous ne tournons pas beaucoup. Je m’occupe toujours du groupe, mais cela ne prend pas beaucoup de temps, c’est pour cela que j’ai voulu enregistrer un disque solo. Aussi, lorsque j’étais en train d’écrire les chansons pour le dernier album des New Pornographers, je me plongeais dans mes démos et mon carnet de notes en me disant : « hey, ça sonne très bien, mais je ne pense pas que ce soit bon pour les New Pornographers. » A ce moment-là, j’avais quelque chose comme 15 chansons, c’était assez pour un disque, je me suis dit alors faisons autre chose avec.

Quelle est la différence entre écrire une chanson pour les New Pornographers et ton album solo ?


En vérité, c’est à peu près pareil. Je ne sais toujours pas comment fonctionne ma méthode d’écriture. Parfois, je me dis seulement que je devrais avoir davantage de contrôle sur certaines chansons afin qu’elles aboutissent comme je l’entends.

Il y a quelques chansons plus calmes sur ce disque et je savais qu’elles ne pourraient pas être dans le prochain disque des Pornographers. Le prochain disque que nous sortirons sera plus rock. Aussi, sur certaines chansons, j’avais une idée très claire de ce que je voulais faire. Parfois, travailler avec un groupe peut changer l’idée que tu te faisais au départ de la chanson. Tu te retrouves avec d’autres musiciens avec plusieurs sensibilités différentes : la batterie, la basse peuvent changer l’esprit de celles-ci. J’ai donc joué moi-même la plupart des instruments, chose que je n’avais jamais fait auparavant. Par exemple, je n’ai jamais joué de la basse, mais je l’ai fait sur le disque.

De quels autres instruments joues-tu ?


Je joue de la guitare normalement. Je ne joue pas de batterie, mais j’utilise une boîte à rythme. Au début, j’enregistre avec une boîte à rythme afin de garder une sorte de repère. Ensuite, je fais appel à un vrai batteur.

Peux-tu nous parler des musiciens qui ont enregistré avec toi le disque ?


Beaucoup d’amis de Vancouver ont participé à l’enregistrement, comme Shane Nelken qui a joué du piano et des guitares, Pete Bourne et Fisher Rose ont joué de la batterie. Ils vont venir faire la tournée sous l’entité A.C Newman.

A.C Newman est donc un groupe ou un projet solo ?


Je ne sais pas. Je voulais d’abord sortir ce disque sous mon propre nom, comme ça je pouvais changer le line up du groupe comme je l’entendais. Pour les New Pornographers, il faut que tout le monde soit dans le groupe pour que celui-ci existe, ce qui est un peu contraignant. Avec A.C Newman, cela peut être moi et n’importe qui. Il y a bien plus de liberté et je n’ai pas de soucis à me faire à ce niveau-là.

As-tu produit seul l’album ?


J’ai appelé mon ami Dave Craswell pour produire l’album, ainsi que John Collins. Tous deux avaient produit les albums des New Pornographers, John joue également de la basse avec les New Pornographers. Ce sont des amis très proches, et je me sens plus à l’aise. C’est une bonne manière de travailler, un peu « Mellow » . (NDLR : traduire : doux)

Que veux-tu dire par là ?


C’est plus relaxe, il n’y a pas de stress. Le matin on arrive en studio, on prépare le café, on passe beaucoup de temps ensemble. Nous tâtonnons beaucoup, enregistrons du matériel, expérimentons, juste pour voir ce qui peut se passer. Eventuellement, on passe à la supérette acheter des bières, et lorsqu’on est trop ivre, on arrête et direction la maison ! (rires)

Un incconu vous offre des fleurs, c'est l'effet

Il y a beaucoup d’arrangements sur cet album. Est-ce que c’était un choix dès le début ?


Il y a définitivement plus d’arrangements sur ce disque, parce que je pense que c’est mon truc. Je me considère un peu comme un arrangeur. Lorsque tu joues dans un groupe, les musiciens répètent et cela dicte le son. Mais quand tu joues par toi-même et que tu arranges tout toi-même, tu peux mettre ce que tu veux, mélanger à ta guise. Je pense que c’est pour cela que le disque sonne ainsi. Je pense aussi que c’est aussi dû au fait qu’il y ait plus d’espace. Ce n’est pas aussi puissant que d’habitude.

Pourtant, il y a bien quelques chansons puissantes, comme sur « The Battle for Straight Time », presque agressives.


Consciemment, je voulais avoir quelques chansons rock sur le disque. Parce que souvent, lorsque tu enregistres un disque solo, l’ensemble sonne assez adouci, avec des guitares acoustiques plutôt calmes. Je ne voulais pas faire ça. Il fallait que le disque sonne à la fois calme et puissant.

On sent tout de même que le disque a été enregistré de manière ambitieuse.


Oui. Je pense que je suis ambitieux. J’ai toujours voulu faire un disque épique. Parce que, quand tu enregistres un disque, tu compiles d’une certaine manière tous les albums que tu aimes. J’adore la manière dont ont été conçus des albums comme Pet Sounds des Beach Boys. Ce n’est pas que j’essaie de faire la même chose, mais il y a tellement de pop musique autour de toi. Lorsque tu enregistres un disque, tu essaies de trouver de nouvelles perspectives pour sonner un peu différent.

Est-ce que tu avais une idée claire de ce à quoi tu voulais aboutir ?


Non, cela prend forme en enregistrant. Il y a une chanson, « The Town Halo » qui n’a pas de guitare, j’attendais juste de savoir ce qui allait se passer en studio et cela s’est transformé en une excellente idée.

Lorsque tu parlais d’influence tout à l’heure, nous avons trouvé un groupe où nous étions d’accord : XTC.


Je peux voir cela. Je ne suis pas vraiment inspiré par XTC, mais je vois la connection.

La dynamique est similaire par momentsÂ…


HumÂ… c’est bien, parce que j’aime beaucoup XTC. Parfois je suis inspiré par des petits passages et des chansons spécifiques. As-tu entendu déjà parler du groupe 60’s The Move ? Sur une de leurs chansons, ils essayent de jouer du violoncelle en combinant avec une guitare, j’ai voulu faire la même chose sur mon album. « The Town Halo » est en quelque sorte mon hommage à The Move.
Au début de The Slow Wonder, le disque commence avec ce thème rythmique (NDLR : il tape des mains sur la table : « tam, tadam, tam, tam tadam »). J’ai piqué ce passage à une chanson de Thin White Rope.

On peut entendre des choeurs féminins également sur ton disque, qui est-ce ?


Sarah Willer, une fille de Vancouver. Elle chante sur l’album d’un de mes amis, elle a une belle voix.

Les New Pornographers aussi utilisent des choeurs féminins. Est-ce que c’est important pour toi d’avoir une voix féminine?


Oui. J’aime mixer une voix féminine avec une voix masculine. Néanmoins, il n’y a pas tant de chant féminin que ça sur ce disque, je pense qu’il ne doit y en avoir que dans trois ou quatre chansons. Mais oui, c’est définitivement un truc que j’adore.

Une autre caractéristique de ta musique, les choeurs féminins ne sonnent pas vraiment très adultes, plutôt enfantins.


Certainement, je n’y avais jamais vraiment pensé avant. Je pense que Neko (NDLR : Case, chanteuse des New pornographers) peut chanter comme une vieille chanteuse country, c’est son vrai registre en vérité. Mais tu sais, les chanteuses country chantent beaucoup en utilisant leur vibrato comme ça (haannnn hannn), et je n’aime pas ça. Je n’arrêtais pas de lui dire constamment de ne pas chanter de cette manière! (rires). L’accent country est bon pour la country musique, mais cela ne marche pas vraiment pour la pop musique.

A propos de tes paroles, est-ce que tu as un sujet de prédilection ?


Pas vraiment. Je déteste un peu écrire des paroles en vérité, c’est un peu comme faire ses devoirs d’école. Je suis bien plus intéressé par le son de la voix, et quand j’écris des chansons, j’entends dans ma tête des sons – comme « ma, two, so, la, da » – mais pas vraiment des mots. Je sais généralement comment je veux faire sonner les mots, mais je dois ensuite trouver le véritable sens de celui-ci, puis construire une histoire. Ça peut être très dur, parce que les mots viennent en dernier et tout le reste de la musique passe en premier. Je pense que les autres songwriters font l’inverse, ils commencent avec des mots puis font des chansons autour. Je n’ai fait comme cela.

Je ne sais pas si je chante sur des choses vraiment originales ou nouvelles. Parfois, je parle de relations amoureuses, je parle de ma vieÂ… et parfois c’est juste des mots dont j’aime la sonorité. Je n’ai jamais vraiment su quoi dire sur les paroles (sourire).

Parle-nous un peu des paroles de « The Battle for Straight Time »


C’était une chanson étrange, je voulais qu’elle sonne comme un symbole de la classe ouvrière, mais cela a finalement mal terminé. C’est une des chansons où il n’y a pas vraiment de sens. Il y a un feeling général, mais cela n’a pas un réel message. Mais c’est bien, parce que c’est une chanson rock.
« The Town Halo », était par exemple une chanson que j’ai écrit en pensant à Jessica Lynch, une soldat américaine qui avait été capturée dans un hôpital en Irak, puis a été sauvée. Mais en vérité, l’opération a été montée de toute pièce.
Si tu fais une chanson rock, tu peux chanter n’importe quoi. Mais avec un peu de chance, j’aimerai que les gens tirent un sentiment qui ne soit pas nécessairement clair, mais qui ait un minimum de sens.

Carl, toujours à l'aise même perdu dans la cambrousse, c'est toujours ça l'effet

Que voulais-tu exprimer avec le titre de l’album The Slow Wonder? Le lent miracle de la vie, de la musique ?


Tu connais l’expression Idiots Of Art ? Cela veut dire à peu près la même chose. Je veux parler de ces gens attardés qui ont un don, comme ces pianistes surdoués un peu autistes. En fait, je parlais un peu de moi là-dedans. Peut-être est-ce dû au fait que ces deux dernières années, les gens parlent de moi et disent que je suis un super songwriter, mais je me sens en vérité comme un idiot. A l’origine, je parlais de moi me considérant comme « un lent miracle », même si je ne suis pas attardé !

Tu écris pratiquement toutes les chansons des New Pornographers, mais ton implication semble de plus en plus importante au fil du temps.


Ça tombe sous le sens, je suis la personne la plus importante du groupe. Mais ce n’était pas vraiment conscient, c’est juste que les choses se sont passées ainsi naturellement.

Quelle a été la réaction des autres membres des New Pornographers lorsque tu as décidé de faire un album solo ?


Oh, ça leur était égal. En même temps, c’est très facile pour moi de reproduire le son des New Pornographers. Ils sont vraiment cool, sincèrement.

Est-ce que c’est dur de travailler dans un groupe où chacun possède une carrière solo propre ?


C’est facile de travailler ensemble, mais c’est moins facile de s’arranger pour se retrouver dans la même pièce. Par exemple, c’est très dur de prévoir n’importe quoi avec Neko. Elle est vraiment très compliquée, à tel point que nous nous demandons si elle jouera sur le prochain albumÂ… elle n’a pas vraiment le temps et travaille toujours sur plein de choses. Par exemple, le dernier album a très bien marché aux Etats-Unis et au Canada, mais nous n’avons joué que deux shows cette année, c’est ridicule. Lorsque tu vends beaucoup d’albums et que tu es populaire, tu pars en tournée. Mais nous n’avons joué que deux dates, ça devient vraiment problématique.

Selon toi, d’où vient cette surcharge de mélodies dans tes chansons ?


Je ne sais pas, j’adore ça ! C’est ce que j’aime dans les chansons. C’est marrant, je pensais à cela d’ailleurs récemment. Je pense que pour certaines personnes, écrire des chansons leur vient naturellement. Quand j’ai commencé à écrire des chansons, je ne savais vraiment pas comment en écrire et je pensais des choses du genre : « comment font-ils pour créer leur propre mélodie ? ». Et de fil en aiguille, j’ai découvert comment on écrivait des chansons. C’est vraiment agréable d’inventer des mélodies, qui reste un processus étrange, on essaie de se polariser sur quelque chose d’une certaine manière.

Est-ce que c’est difficile pour toi d’écrire des chansons ?


Pour les mélodies, harmonies et cordes, je trouve cela assez facile, mais les terminer est une autre paire de manche. Comme écrire les paroles et les arrangerÂ…

Tu dois prendre la bonne décisionÂ…


Oui, cela devient du travail. Il y a un moment où j’écris beaucoup de chansons et où il faut que j’arrête en me disant à moi-même : « plus de nouvelles compositions tant que tu ne les as pas terminé ».

Te sens-tu prolifique ?


Je ne me sens pas prolifique, mais je veux l’être ! J’essaye en tout cas. Nous allons tourner cet été pour promouvoir The Slow Wonder, puis nous allons essayer d’enregistrer le nouvel album des New Pornographers. Je vis à Vancouver et ma copine vit à San Fransisco, je passe beaucoup de temps à faire les aller-retours, j’aime bien ce genre de désordre. J’ai toujours beaucoup de choses à faire, mais j’aime cela. Si tu n’es pas occupé, tu deviens vite dépressif. Je pense que les gens qui écrivent des chansons et ont beaucoup de temps libre deviennent petit à petit fous. Tu as besoin de quelque chose pour occuper tes pensées.
En même temps, parfois lorsque je reste chez moi et que j’essaie d’écrire des chansons et d’être créatif, je commence aussi à devenir un peu fou. Parce que tu perds un peu le contact avec le monde extérieur. J’essaie d’éviter cela.

Avant les New Pornographers, tu étais dans le groupe Zumpano. Que retiens-tu de cette expérience ?

Pour moi, Zumpano a été comme une école d’apprentissage. J’essayais de découvrir comment on écrivait des pop songs. J’ai une meilleure idée de ce que je veux faire maintenant. C’est dur pour moi d’écouter les disques de Zumpano, parce que je pense qu’ils auraient pu être bien meilleurs.

Après le split du groupe, tu as laissé tomber pendant un certain temps la musique. Etais-tu dégoûté par le music business ?


Pas vraiment, le groupe était juste en train de partir en lambeaux. Nous n’étions plus en bons termes, puis les New Pornographers sont arrivés.

Mais il y a eu un espace de deux ans entre les New Pornographers et Zumpano, qu’as-tu fait pendant cette période ?


Et bien j’avais un travail, je me suis marié aussi. Je travaillais dans une usine qui faisait des guitares acoustiques, j’étais une de ses personnes qui intervenait à la fin de la chaîne et qui consistait à les tester en jouant dessus.

Cool job ! (rire)


C’est cool pendant un moment, puis ça sort par le nez. C’est sûr que c’est un boulot facile, mais c’est aussi un job merdique. J’étais vraiment heureux de revenir à la musique.

Est-ce que tu sens que tu fais partie d’une scène pop quelconque ?


Pas vraiment, il y a des groupes qui sont similaires à nous, comme les Shins, ils sont très bons. Je ne sais pas, les seuls groupes dont je me sens proche sont ceux de mes amis à Vancouver. Mais nous ne faisons pas partie d’un mouvement en particulier, ce que je pense est une bonne chose. Je peux sentir des connections -pas nécessairement musicales- avec des groupes comme Guided By Voices. Je suis ami avec Robert Pollard et j’aime son approche de la musique. J’aime ce message qu’il laisserait entendre que la musique a une sorte de force libératrice.

Pour terminer, peux-tu nous donner tes cinq albums préférés de tous les temps ?


Forever Changes de Love, c’est mon numéro un. L’album blanc des Beatles. REM, Murmur
Il y a tellement d’albums hallucinants. Doolittle des PixiesÂ… et puis d’autres groupes sous-estimés comme Destroyer, Frog EyesÂ… Je pense aussi à d’autres disques qui ont longtemps figuré dans mon top ten, comme The Days of Wine and Roses du Dream Syndicate, un très grand album. Il y a tellement de bons disques…

– A. C Newman, The Slow Wonder (Matador, Beggars)

-Site officiel d’A.C Newman