Un sentiment de plénitude total émane de ce disque, à la croisée des modèles
Mercury Rev et des grands déjantés 70’s Robert Wyatt et Kevin Ayers. Une pièce à
la limite du baroque et au charme suranné.


Flotation Toy Warning… Bon sang, mais c’est bien sûr, ce nom sonnait vaguement familier dans ma tête. Une compilation ? Une chronique élogieuse ? Pas moyen de mettre le grappin dessus. Finalement, c’est en fouillant dans un coin poussiéreux de l’étagère que la réponse s’est cristallisée ! Cette cristallisation (ou plutôt matérialisation), c’est I remember Trees, second EP prometteur sorti voilà deux ans et qui m’avait fait une très grande impression. C’est donc avec un peu de culpabilité qu’on avoue les avoir un peu oublié (c’est le cas de le dire), la patience n’étant point une vertu dans le monde du rock.

Quintet londonien formé en 2001, ce « dangereux jouet flottant » possède un vice délicieux : un goût immodéré pour les compositions alambiquées et barrées, se rêvant de passer de l’autre côté de l’Atlantique pour rejoindre le prestigieux triptyque Mercury Rev/Grandaddy/Flaming Lips. Détail notable toutefois, au lieu de faire dans le clonage médiocre, nos amis apportent une pointe de psychédélisme anglais revigorant, rappelant à notre bon souvenir les œuvres des grands déjantés 70’s Kevin Ayers et Robert Wyatt.

Bluffer’s Guide to the Flight Deck est une oeuvre dense qui prend le temps de s’installer dans nos méninges. De même, il aura fallu près de deux ans avant d’aboutir à ce premier album. L’essentiel des deux EP sortis en 2002 chez Pointy
records
a été collecté sur ce long format, plus quelques inédits qui pourraient faire un superbe troisième EP. La moitié du matériel présenté ici n’est donc pas de première fraîcheur, mais comme pratiquement personne ici n’a mis la main dessus auparavant, il n’y a pas vraiment de quoi faire la fine bouche.

Et puis ce baptême du feu ne souffre aucunement d’un manque d’homogénéité : les chansons ont été retravaillées, étirées voire amputées ou augmentées de parties instrumentales et vocales. Le producteur Steve Winsdow, présent depuis leur
première session d’enregistrement – qui pourrait donc faire office de sixième membre – semble être devenu un allié cher, un homme de confiance qui connaît parfaitement les rouages de leur secret de fabrication. Seul changement notable,
le mixage a été cédé à Brian O’Shaughnessy, producteur discret qui a collaboré avec quelques-uns de nos favoris (notamment les trop sous-estimés Moose).

Les compositions se veulent ambitieuses, mais moins grandiloquentes qu’un Mercury Rev, même si tous deux usent de ficelles souvent similaires (scie musicale, orchestre, chœurs de sirènes…). Flotation Toy Warning se veut plus
humble, préfère le calme à la tempête et cible davantage son tir sur l’émotion que sur la surenchère. Le disque semble baigner ainsi dans un océan de mélancolie.

Pourtant, si l’on se fie au track-listing et à la longueur des morceaux, on aurait tendance à penser que nous avons affaire à un groupe épique de rock progressif.
A vrai dire il n’en est rien. Nos londoniens sont assez futés pour ne pas tomber dans le piège du pompeux et du soporifique. Il suffit de poser une écoute sur le délicieux « Donald Pleasance », longue plage de 9 minutes, qui s’octroie l’usage
d’une section de cordes et berce tellement bien nos oreilles que l’on ne se rend pas compte de sa durée marathon. « Losing Carolina ; For Drusky » est un autre tour de force, sa mélancolie nous prend par les tripes, n fabuleux bric-à-brac où alternent pêle-mêle passages ambients, pedal steel, incursions de voix de ténor : ce morceau peut résumer à
lui seul toute la philosophie du groupe.
Que dire aussi de « Fire Engine on Fire », suite en deux parties, dont les pleurs de scie musicale filent la chair
de poule?

Enfin, la voix de Paul Carter (compositeur, parolier), souvent noyée dans des effets de flanger, rappelle un peu le timbre timide de Mark Linkous, ce qui n’est pas pour nous déplaire. L’homme est de plus un parolier talentueux, semblant obnubilé par la tématique du désespoir amoureux, sans pour autant ressasser les vieilles recettes.

« This is the funeral of our love,

I came here only to say Goodbye »

Donald Pleasance

Devant une telle démonstration de sentiments éreintés, comment ne pas
prendre ce disque sous son aile, franchement ?

-Le site officiel
-Le site de Talitres