Le quatrième opus de la folkeuse britannique fait exactement le même effet que les huitres, le caviar ou le foie gras. Petit, on est dégouté. Plus grand, on tente et on y prend goût. Enfin, on apprécie.
Beth Orton on la connaît déjà. Non seulement par ses albums, qui sentent bon comme un livre neuf, mais finissent comme ce dernier malheureusement trop souvent sur l’étagère. Il est rare d’aller y chercher un moment de divertissement ou d’évasion. A tort bien sûr.
Elle a fait ses premiers pas de danse avec William Orbit, alors qu’elle était actrice de théâtre. Beth Orton, la plupart la connaissent, grâce à ses apparitions chez les Chemical Brothers et Red Snapper. 2006. Sa voix est reconnaissable à dix lieues à la ronde, et sa musique douceâtre a le mérite d’adoucir les moeurs du rock. La voilà de retour, avec un album spécial, histoire de couronner avec brio sa carrière en solo : quatrième album en 10 ans.
Le hic, c’est que la première impression se résume à mi-figue mi-raisin. Pourquoi ? Parce qu’elle fait partie de ces artistes que l’on aimerait classer aux côtés de Kate Bush (ce que certains managers du même label n’hésitent pas à faire) mais à qui il manque ce don de la mélodie qui fait mouche rapidement.
La pochette affiche une ambition plus universelle, davantage encore que The Other Side Of Daybreak : exit son joli petit minois sur la pochette (ne vous en faites pas, elle apparaît abondamment dans le livret). Non, ici, c’est le nec plus ultra : on se mesure avec les grands, avec un tableau d’un illustre inconnu (si, si) mais qui en dit long puisque on cherche à savoir qui est l’heureux peintre en question, persuadé qu’il émane d’un grand musée. Et puis la matière choisie pour la texture du livret, qui lui donne une majesté que l’on regrette depuis que le CD a remplacé le 33 tours – à savoir un contenant aussi artistique que le contenu, voire un objet d’art à arborer dans son salon. Y a pas à dire, pour ses dix ans de carrière, on a mis les bouchées doubles, histoire de fêter la chose avec décence et classe.
Venons-en donc au disque. Le contenu est-il à la hauteur du contenant ou plutôt de sa mauvaise odeur (en effet, petit aparté, le livret – il n’y a pas d’autres termes – sent vraiment très mauvais…). Bon, à la production, c’est le guitariste Jim O’Rourke qui s’y met, pour la première fois de surcroît. Sa carrière solo, mais aussi son passage chez Sonic Youth, Wilco, Stereolab ou Smog en font une figure emblématique de la scène indie. Il rencontre, sur sa demande, Beth Orton en janvier 2005 et lui pose ses conditions – le bonhomme a déjà sa petite idée – sur la table. Whatever it takes répondra-t-elle. La ligne maîtresse de l’album, et de son enregistrement, sera – donc – la spontanéité. Au diable les longues nuits de post-production et d’arrangements subtils. Fanfreluches que tout cela ! Cinq jours en studio, deux semaines pour tout mettre en boîte suffiront amplement. Pour se faire, pas plus de deux prises par titre, avec un minimum de travail par la suite. Et pas question de se contenter de regarder son nouveau poulain derrière la table de mixage ! Non, Jim O’Rourke s’y colle également et met la main à la pâte : piano, basse, percussions, et un tout petit peu de guitare – c’est un comble ! -, qu’il laisse plutôt dans les mains de la jolie, que l’on crédite également pour le piano et l’harmonica. C’est Tim Barnes (Wilco, Silver Jews) qui prend les baguettes et s’installe derrière les fûts, avec une pêche détonnante. « Shopping Trolley » plaît, sincèrement, et, chose n’est pas coutume, fait mouche tout de suite, avec sa batterie énervée.
La première plage, « Worms », est prometteuse. Entraînante, joyeuse presque, la rythmique au piano est séduisante. La voix de Beth Orton touchante. « Countenance » met déjà la barre moins haut, ensuite on commence à regarder sa montre, à feuilleter le livret (malgré sa puanteur, visionnant les jolies photos et dessins qui s’y trouvent). Ceci pour prévenir que les premières écoutes risquent d’être laborieuses, ressemblant au catalogue de titres plaintifs et larmoyants qui n’éveillent qu’un bâillement, voire de l’énervement. J’en connais qui ont eu les mêmes symptômes à l’écoute du dernier Kate Bush… Et oui, le disque se mérite. C’est à ce prix qu’on y atteindra le summum avec le titre éponyme, co-écrit avec Matt Ward et O’Rourke. Ce sont “Conceived” et “Heart of soul”, avec leurs arrangements précieux (violoncelle, violon) et la batterie déchaînée qui remportent le flambeau, hissant Orton à côté d’artistes comme Rickie Lee Jones.
Et c’est seulement ensuite que l’on découvrira les joyaux qui se cachent derrière : « Safe in your arms » ensorcelle, tout simplement, et la voix de la belle vous fera l’effet d’une sirène. Rien de moins. On sent qu’elle se livre, s’ouvre, va au fond de ses sentiments. « Feral » est du même acabit.
Comme pour nous assommer, l’édition spéciale de ce disque comporte un disque bonus, dont les cinq titres ne souffrent nullement la comparaison, et valent largement le détour, ne serait-ce que pour la patte de Matt Ward, présent sur tous les titres :
– une version différente de « Comfort of strangers », avec justement Matt Ward au chant.
– « Did somebody make us fool », avec un son crade à la Tom Waits/Matt Ward absolument fabuleux.
– « Northern Sky », avec Howe Gelb au piano et à la bouteille de bière (ça ne s’invente pas).
Le livret, que l’on ne peut s’empêcher de feuilleter pour les photos, les paroles, les dessins, et dont l’odeur était pourtant si repoussante, finit par devenir attachant…
When it’s over, it’s over.
– Le site de Beth Orton