« Nous n’aimons pas la musique conservatrice, ce qui est souvent le cas pour le rock. Il y a quelque chose à propos des guitares qui amène de vieux goûts conservateurs, sans plans pour le futur, sans la volonté de changer quoi que ce soit. C’est difficile et stupide de faire de la musique du futur sur des instruments vieux de 50 ans ». Et en pratique, ça donne quoi ?
Le duo suédois The Knife (la fratrie Olof et Karin Dreijer) entretient et alimente si bien le mystère qui l’entoure, que l’on finit vraiment par s’attacher à leur univers si particulier (qui a dit glauque ?). On avait appris, lors du dernier entretien accordé ici, qu’ils étaient – pour faire court – féministes et anti-showbiz (« salut, tu…vas…bien ?… »), quitte à en montrer les contradictions et paradoxes comme fil conducteur revendicatif et dénonciateur. Et à s’égarer dans un cul de sac ? Leur absence avouée de promotion où il faut mettre le pied à l’étrier avait probablement joué en leur faveur, mettant à jour une nouvelle façon de faire. Pas d’interviews in vivo, pas de concerts non plus : mais qui sont ces scandinaves aux clips bizarres ? se demandait-on, contrairement aux suédois qui les connaissaient déjà depuis un petit moment. Difficile après ça d’accepter, contre vents et marées, la reprise de « Heartbeats » par José Gonzalez, devenue entre-temps la bande sonore d’une publicité qui a fait le tour de la planète. Il ne restait plus au duo qu’à rester intègre, ne surtout pas revenir sur son credo et rester fidèle à ses convictions, même si cela impliquait le confinement et l’isolement.
Mais au lieu de s’interroger pour tenter de savoir le pourquoi du comment, rappelons-nous plutôt de l’essentiel, à savoir comment leur premier disque nous avait enchanté, voire ensorcelé, avec ses sons super vintage. Et pourtant ils ne se sont pas reposés sur leurs lauriers : bye bye la danse facile et kitch rappelant le worst of the worst (qui comme en math devient positif…), wurst des seventies & eighties, avec clin d’oeil à Klaus Nomi au passage. On est passé ici à la deuxième étape : le fin fonds de l’histoire, la substantifique moelle. Que du bon donc ? Et oui, pourquoi pas s’autoriser à le penser ?
Les synthétiseurs se sont faits prophètes d’un temps qui n’augure rien de bon, d’un temps apocalyptique. Les voix vont de concert avec ce constat. Le beat martèle à qui mieux mieux la cadence infernale. La messe est dite : les temps nouveaux sont durs. Ah, peut-être, mais s’ils permettent à de tels disques d’émerger, de faire parler les fatalistes, alors on dit oui, on devient croyant, on salue, on s’agenouille devant les mécréants The Knife.
Pas étonnant, après ces premières impressions, d’apprendre que ce disque a été enregistré dans deux endroits bien symboliques : une vieille usine et la cave d’une église de Stockholm, qui ne supportera d’ailleurs pas leur vacarme et les obligera à déguerpir.
Le titre de l’album décrit ce moment lorsqu’on cauchemarde : on veut crier mais rien ne sort. Le premier clip issu de l’album est d’ailleurs dans cette veine-là, entre Elephant Man, Eyes Wide Shut et le clip dérangeant de Windowlicker (Aphex twin). C’est finalement de ce dernier qu’ils se rapprocheront le plus, plus tard, quand il s’agira de les situer historiquement sur la scène électro du nouveau millénaire. Innovation, sens du rythme et de la mélodie, art pour l’art, tout y est : ces gars sont frappés. Thank the lord ! Leurs deux derniers clips, issus de cette galette, rappellent également Richard D.James.
« Neverland » chavire avec son martèlement hypnotisant, le titre éponyme fond comme un bonbon triple couche, le synthé vintage (type Vangelis) de « Marble House », poussé jusqu’à son paroxysme sur « Forest Families », dont les paroles évoquent la vie dans l’ancien bloc communiste…De fond en comble, on est étonné aussi par les sons très tribaux, aboutis, des différents titres. Un peu comme si on allait aux origines du son pour y voir l’avenir. Un peu comme la guerre du feu transposée en musique…. Silent Shout.