Très attendu, le second album du trio Tweedy/O’Rourke/Kotche s’avère moins aventureux mais plus percutant. Un savant mélange de rock progressif et de pop-folk qui définit autant une aire de jeu qu’un chantier de réflexions mordantes.


Têtes pensantes et mains agiles, cordes incisives et tempi contrariés, spontanéité d’exécution et réversibilité d’humeur, au fil des écoutes la formule distillée par Loose Fur avec son premier album éponyme, sorti en 2003, avait séduit, ravi même. Ce projet annexe et récréatif se développait en six versatiles plages comme un retour aux sources jubilatoire : Jeff Tweedy et Glenn Kotche revisitaient le Wilco (groupe qui a révolutionné l’americana, faut-il le rappeler) de Summerteeth (1999) et Yankee Hotel Foxtrot (2002), Jim O’Rourke réveillait le fantôme prégnant de Gastr Del Sol.

Born Again in the USA ne change pas fondamentalement la donne. Il en déplace les enjeux, modifie la répartition des cartes : les morceaux adoptent un format plus conventionnel (trois quatre minutes en moyenne), les schémas instrumentaux se font plus lisibles, les modèles stylistiques se dessinent nettement, l’ensemble s’appréhende comme un tout plus homogène et tenu. Pour autant la qualité demeure. Pas un titre qui n’épouse une courbe brisée, ne recèle quelques surprises, ne résiste au formatage. Même un morceau comme “Wanted”, ballade d’apparence anodine, ne concède rien à la facilité : construite rigoureusement autour d’une ligne de piano qui ouvre la marche, elle est ensuite rehaussée par quelques notes discrètes de guitares qui progressivement gagnent en présence pour finir par s’imposer à la fin du morceau, à mesure que se précise la teneur sexuellement ambiguë et douloureuse des paroles de Jeff Tweedy.

Nonobstant cet attachement porté aux détails, il semblerait que ce retour de Loose Fur se fasse sous des auspices moins libérés, que les potentialités du groupe se soient réduites. C’est que la musique ici revêt une autre dimension, se resserre, se focalise autour des mots, de la religion en particulier, coeur de la cible. La flèche la plus piquante est décochée par Tweedy et O’Rourke sur le sardonique “The Ruling Class” : le retour sur les terres américaines du Christ s’avère rocambolesque, ce dernier étant décrit comme un arriviste patenté, drogué et bourré, allié de choix d’une droite chrétienne stigmatisée. Le sifflement incrédule de Tweedy et le ton guilleret opèrent un décalage savoureux et tempèrent un propos sans concession.

Plus loin, avec “Thou Shalt Wilt”, Jim O’Rourke interroge le poids des mots et de leur interprétation en se faisant le porte-parole de législateurs fanatiques, désireux de réviser les dix Commandements pour mieux imposer leurs lois au peuple et les manipuler ainsi comme bon leur semblent. Là encore l’ironie est perceptible à travers le ton enjoué et une mélodie radieuse que quelques riffs pervers viennent occasionnellement lacérer. Loose Fur s’amuse, travestit la réalité pour mieux en faire ressortir les apories, démarche qui n’est pas sans envergure. Le magnifique “Wreckroom”, seul morceau qui s’étend sur plus de huit minutes, est un sommet de non-sens jouissif. Les mots surréalistes de Tweedy alternent avec une structure gigogne enchaînant soft rock et déflagrations noisy, avant de trouver une échappatoire ambiant savamment agencée par les percussions de Glenn Kotche, moment de calme relatif qu’une guitare vient à peine perturber, derniers soubresauts avant l’extinction des feux.

Born Again in the USA est un album de franc-tireurs arrogants. Le sens du combat, le coeur (plus que la rancoeur) qu’on met à l’ouvrage, les armes (surtout du langage ici) que l’on déploie se nourrissent d’altérité et d’une ingénuité critique parée d’une bonne dose d’humour. Le rapport au monde sollicité (tissé à même la singularité) fustige les adversaires désignés, ce croyant aveugle au service du politique, cette politique ignare dictée par la religion. La musique de Loose Fur est un terrain miné où ne s’avancent que des mots assassins mais nuls idéaux. Pour re-naître dignement en son pays, certaines guerres valent le coup d’être menées.

– Le site de Drag City/Loose Fur.

– A écouter (et voir) : “Hey Chicken