Doug Martsch remet en selle son combo mythique après un quinquennat en berne. Placé sous le haut parrainage du Loner, les drones de guitares saturées de You in Reverse tendent désormais vers le spleen crade. Moins spectaculaire, mais toujours authentiquement affecté.


Cette chronique traîne depuis un bon mois et demi sur le bureau de mon PC. S’il avait fallu cacher le disque derrière un coussin, on l’aurait fait. Mais voilà, c’est un fichier word. Il faut s’en débarrasser une fois pour toute. Ouste ! Du balai ! Dans un dernier élan de motivation, on rampe jusqu’au clavier pour mettre fin au supplice et rédiger une chronique… Peut-être est-ce à cause de cette pochette au goût douteux digne d’un album des Chameleons ou bien à notre façon de faire payer Doug Martsch d’une absence longue de cinq ans ? A vrai dire, la dernière livraison de Built To Spill déçoit dans un premier temps et demande persévérance.

Vénérable institution du rock indépendant 90’s, les figures de voltige six-corde de Doug Martsch & co ont brillé de mille feux sur Keep It Like a Secret (1999), Perfect From Now On (1997) et There’s Nothing Wrong with Love (1994). Trois albums, qui pour certains clans « rockuptibles » (auxquels nous adhérons) surpassent ceux de l’éternel rival, feu Pavement. Mais voilà, Doug Martsch et ses trois compagnons tournent peu hors des Etats-Unis et l’occasion de les voir en Europe est quasi nulle. On se console en savourant leur fantastique Live (2000), imposante leçon de maestria rock lancée comme un pied-de-nez à la nouvelle génération garage.

Contrairement à ses prédécesseurs, le nettement moins glorieux Ancient Melodies of The Future (2001) n’a même pas bénéficié d’une sortie nationale en France, c’est dire l’intérêt que porte Warner à ces formations cultes outre-atlantique méconnues par chez nous. Disque bâclé, Ancient Melodies… s’orientait vers de nouveaux territoires, malheureusement trop encombrés par des claviers aseptisés et une inspiration faisant sérieusement défaut.
En réaction à ces tentatives de rock futuriste, You In Reverse fait complètement machine arrière, direction les bonnes vieilles guitares abrasives de Neil Young période Crazy Horse et l’epileptique Zuma. Petit présage, l’album solo acoustique du barbu Doug Martsch Now You Know (2001), hanté par le fantôme blues de Mississippi Fred Mc Dowell, amorçait déjà ses aspirations rétro.

C’est donc à travers la noirceur de Tonight The Night et de l’arrivée d’un second guitariste, Brett Netson (un vieux collaborateur de tournée), que Built to Spill a retrouvé un peu de sang neuf. Du fait de cette nouvelle carapace rude, ce sixième opus studio se laisse appréhender moins facilement, d’où notre laps de temps de réaction. Et puis, à grands coups de guitares perceuses, You In Reverse parvient à s’immiscer dans notre caboche pour ne plus s’en déloger.

Avec pour habitude de nous servir d’entrée une petite tranche épique, Built To Spill choisit ce coup-ci l’épopée americana amplifiée. “Goin’ Against Your Mind” balance de sacrés effluves de larsen en piratant le fameux “Cortez the Killer” qu’ils avaient déjà repris admirablement sur Live : huit minutes de duels de guitare au sommet, dominés notamment par les terrassants soli au bottleneck de Mr Martsch. Les rencontres avec les rythmiques visqueuses du Crazy Horse sont fréquentes tout au long de ses 10 titres : “Wherever You Go” ou encore un orgue sur “Gone” d’instinct massacrant.

Tout en conservant ce grain sale 70’s, d’autres compositions portent la signature familière de Built to Spill. Dans l’ensemble, le groupe de Boise pique des colères épiques moins systématiques. Nerveux à souhait, “Conventionnal Wisdom” renoue avec la verve des notes imbriquées qui finissent par exploser en solo de particules hendrixiennes. L’étonnante virée binaire chicanos “Mess With Time” est également mémorable. L’humeur est plus à l’affliction, bien que certains arpèges finement ciselés trahissent quelques jolies mélodies pop (“Liar”, “Just a Habit”). Le tout s’achève sur une chanson sur le départ, le nostalgique “The Way”. Built To Spill nous rend la vie dure, et c’est pour ça qu’on « rempill ».

– Le site de Built To Spill