Gros plan sur Tracyanne Campbell, L’enfant sauvage qui nous siffle des harmonies pop féériques et désarmantes. Ôde à la fuite sentimentale, Let’s Get Out Of This Country sonne le réveil d’une formation qui joue désormais dans la cour des grands.


Ce qui frappe d’emblée lorsqu’on aborde un disque des écossais Camera Obscura, ce sont bien sûr leurs pochettes sublimes. Longtemps, cette formation mixte de six musiciens, qui vient de souffler ses dix bougies, a souffert de l’affiliation avec ses voisins de palier glaswegians, Belle & Sebastian. Et pour cause, toutes deux entretiennent les mêmes goûts d’esthètes : des photos de jeunes filles qui portent des robes à carreaux, regardent la pluie tomber derrière une vitre, l’air rêveur. Histoire de jeter de l’huile sur le feu, c’est Stuart Murdoch qui a assuré la production d’un de leur premier single. Le garçon figure même sur les crédits de leur opus précédent Under Achievers Please Try Harder in… en tant qu’instigateur de la photo en couverture ! Musicalement, Camera Obscura flirte aussi dangeureusement avec ses pairs : de dociles ballades jouées pas trop fort, d’où s’extirpe le chant docile de Tracyanne Campbell. Enfin, il faut reconnaître qu’en dépit de bien belles choses, Camera Obscura n’avait pas encore enregistré son If You’re Feeling Sinister. Ce disque définitif qui lui permettrait de voler de ses propres ailes. Cette chose est désormais accomplie.

Les choses s’annonçaient pourtant mal suite au départ de John Hendersen en 2004, l’un des membres fondateurs qui partageait le chant avec Tracyanne Campbell. Cette épreuve a bouleversé l’alchimie du groupe, pour le meilleur : débarrassé des inspirations folk Cohennienne d’Hendersen, la belle s’est accaparée les rênes du projet. Miss Campbell compose et chante désormais toutes les chansons. Confiante sur la qualité des morceaux rassemblés, une idée lumineuse traverse son esprit : c’est le moment d’accomplir de grandes choses. Terminé le régime pop drastique, elle rêve désormais d’un orchestre symphonique capable d’élever ses mélodies précieuses vers les ambitieux sommets d’un Phil Spector ou Burt Bacharach. Ce sera le producteur Jari Haapalainen (producteur Ed Harcourt, The Concretes) qui lui offrira sur un plateau d’argent les moyens de son ambition.

Généralement, ce genre de production herculéenne (Spiritualized, Poliphonic Spree) s’attire les louanges de la critique mais ne parvient pas à effacer de nos mémoires les modèles originaux. Les chansons de Camera Obscura ont assez d’identité pour dépasser ce stade.
Let’s Get Out Of This Country est un disque grisant, enchanteur. Accompagné de certains musiciens qui ont tourné avec Brian Wilson et Arthur Lee & LOVE, les parties symphoniques sont d’une beauté à couper le souffle. Sur “Lloyd, I’m Ready To Be Heartbroken”, “Come Back Margaret” et “Let’s Get Out Of This Country”, on atteint la perfection pop selon les canons 60’s ( batterie tonnante, mur du son symphonique, choeurs divins, guitares vintage). La voix de Tracyanne, d’une pureté confondante, ne croule jamais sous le poids d’arrangements pompeux. « Lloyd, I’m Ready To Be Heartbroken, » une réponse au “Are You Ready To Be Heartbroken” de Lloyd Cole, subjugue par sa mise en scène mélodramatique. Durant ce passage de bravoure, un motif de guitare furtif mais génial focalise notre attention, traversant avec une classe conquérante des cascades de violons grandioses. Ce genre de détails anodins mais cruciaux dans la pop, Camera Obscura sait en user avec brio.

Lors des passages intimistes, les écossais veulent nous faire partager leur passion érudite pour la pop noble. Quelques ballades mariachis imprégnées du parfum de The Crystals (“Tears for affairs”) ou encore l’héritage du rock indépendant réapparaît le temps d’une d’une folk song aérienne (“Dory Previn”, très Mazzy Star), jusqu’au final en apothéose “Razzle Dazzle Rose”, où des trompettes impériales sonnent le glas d’une rencontre exceptionnelle.

Camera Obscura nous réapprend à apprécier la valeur d’une chanson classique – chose qu’on a peut-être un peu trop tendance à oublier. Les ingrédients de la recette sont simples : des mélodies tenaces, quelques mots limpides qui vont droit au coeur… et un peu de magie. Et de la magie, Tracyanne et ses compagnons en ont à revendre. Ce disque rend heureux.

– Le site de Camera Obscura