Bonnie ‘Prince’ Billy, songwriter chétif et discret qu’on ne présente plus, revient avec The Letting Go. Laissons-nous donc aller au fil de ces treize nouvelles compositions, qui renouent avec la justesse de I See A Darkness.


Chaque année est, potentiellement, une «année Will Oldham», tant la discographie de ce dernier a une – fâcheuse, dirons certains – tendance à s’allonger. Bientôt quinze ans que Will Oldham compte dans le monde fermé du folk/rock américain, à grands renforts de pseudonymes, comme pour mieux suggérer la schizophrénie latente qui affleure dans des paroles souvent torturées. Et c’est sous son dernier avatar en date qu’il nous présente The Letting Go, septième véritable album sous ce pseudo princier et, c’est une première, opus enregistré hors des Etats-Unis, sur les terres tourmentées d’Islande.

Jusqu’ à présent, The Brave And The Bold, sorti en tout début d’année, n’a pas vraiment suffi pour obtenir le label «année Will Oldham», label pourtant facilement desservi entre 1994 et 1999. Car, à bien y penser, la collaboration improbable entre les boucles de Tortoise et son folk épuré s’est avérée convaincante, sans plus. Un sentiment de déception nous taraude depuis quelques années déjà, car, à vouloir jouer sur tous les tableaux, Will Oldham s’éparpille, se perd, se répète aussi. Collaborations diverses (Tortoise, Matt Sweeney), live (Summer In The Southeast) voire auto-reprises (pompeusement intitulées Great Palace Music) ne nous feront pas dire le contraire. Il n’en reste pas moins que chaque contribution de notre p(r)ince-sans-rire préféré reste intéressante, à défaut d’être exceptionnelle. The Letting Go pourrait peut-être changer la donne, en renouant avec ses bonnes habitudes : des paroles mesurées sur des accompagnements riches et bien pensés.

Il est bien loin le temps des ballades minimalistes aux six-cordes austères, sur fond de boîte à rythmes fantomatique. Désormais, BPB a apprivoisé les arrangements de cordes discrets, et plus généralement, les ambiances pacifiées. Dès Love comes to me, on découvre avec bonheur à quel point le prince de l’americana s’est assagi, posé, et cette plénitude lui va à ravir. Dans une atmosphère feutrée, suggérée par des cordes, BPB évoque une fois de plus l’amour tel qu’il l’affectionne : inattendu et invahissant. Nouveauté à noter : il est soutenu par une voix féminine assez haut-perchée, qui dessine des entrelacs vocaux enchanteurs. Cette douceur fémininine, pour le moins inahibituelle, saupoudre par touches discrètes la majorité des titres, s’apparentant par moments à des lamentations de sirènes (“The Letting Go”, “God’s Small Song”).

La musique de BPB s’en trouve transfigurée : il enchaîne les morceaux acoustiques avec une inspiration retrouvée, sans doute encouragé par cette nouvelle muse. “Strange Form Of Life” par exemple, est sous-tendu par une progression crescendo, tandis que “Cursed Sleep” (single qui a précédé la sortie de l’album) voit le chant de BPB plus assuré que jamais, encouragé par quelques nappes de cordes. Car le vilain petit canard du folk se laisse maintenant aller à des passages langoureux (“I Called You Back”) ou ténébreux, sur l’acme que représente “The Seeding” : cordes, section rythmique marquée et choeurs s’assemblent dans un morceau d’une grande intensité, aux accents dissonants. Et lorsque BPB retrouve son format favori (la ballade acoustique), c’est avec le concours malicieux de sa choriste (“Big Friday”), et quelques détails qui font la différence : une rythmique aux accents électroniques sur “Lay And Love” ou un xylophone sur “Wai”. L’introspection, thème favori de notre troubadour, est désormais au service d’une nostalgie maîtrisée, rappelant ainsi Nick Drake (“Cold & Wet”) ou Leonard Cohen (“No Bad News”, “Big Friday”), deux aînés prestigieux qui veillent sur cet album particulièrement réussi. Encore une médaille – ou plutôt une distinction honorifique – en prévision pour le barbu de Louisville…

– Le site de Drag City