Avec Stars Like Fleas, le courageux label bordelais Talitres défend coup sur coup deux albums de folk vertigineux, complexes et passionnants. Suivez le chemin de la rédemption, entrez dans la gueule de Le Loup.


Risqué. Rien de moins que L’Enfer de Dante. C’est un gigantesque pan de la littérature médiévale auquel s’est attaqué le musicien Sam Simkov pour son baptême du feu. Une tâche peut-être même qui le dépasse. Pour les incultes, le pavé conte la descente aux enfers du poète et écrivain florentin Dante, depuis son passage par le Purgatoire jusqu’à son ascension au Paradis et enfin son union à Dieu. On se focalisera ici, plus particulièrement, sur le premier chant/chapitre (L’enfer) et le dernier (Le Paradis).
Mais ce n’est pas tout… Le titre à rallonge du disque est tiré quant à lui d’une oeuvre colossale de l’artiste reclus James Hampton : une collection composée de 177 pièces religieuses travaillées à base de matériaux de récupération, le fruit de 50 ans de travail reflétant sa vision personnelle du Paradis. L’ensemble – que l’illuminé n’a jamais eu le temps de terminer, bien entendu – devait être rassemblé dans une église. Le syndrome de La Sagrada Familia en somme. En faisant référence à ces deux pièces littéralement « dantesques », la bête peut-elle venir à bout de cette montagne ? Objectivement non, mais la bataille livrée ici mérite les honneurs.

A la lecture du projet, The Throne… laisserait supposer un énième disque concept, supplice de prétention, ou une nouvelle ignominie symphonique dédiée au Christianisme. En vérité, ce premier album est d’une sensibilité et d’un équilibre admirables. The Throne… demeure avant tout un exécutoire personnel. Si Le Loup fait preuve de démesure et d’ambition, celle-ci passe seulement par un souci de précision à relayer chaque forme entre elles. Allié à six autres jeunes pèlerins de Washington DC, le tourmenté Sam Simkov a élaboré un disque electro-folk complexe et méthodique. Le parcours initiatique est précisément découpé en douze plages, douze mini-pièces débridées, dénuées de mesures, parfois instrumentales, parfois chantées. Au fil de la narration, le dialogue s’installe avec un banjo solitaire, et surtout la voix, où plutôt les voix. Le Loup porte une grande importance aux choeurs, qui, enveloppés d’une reverb infinie, ne font qu’amplifier la teneur spirituelle du récit.
Sans brides de format, Le Loup veille toutefois à ne jamais vraiment couper le cordon mélodique. On a trouvé là un cousin prêcheur aux new-yorkais Grizzly Bear, voire un Animal Collective moins pénible, qui aurait gagné en discipline. A l’instar de ces électrons libres, son electro-folk sondeuse exhale le même parfum criant de modernisme.

En résonance aux travaux de récupération d’Hampton, The Throne… épouse une cohorte d’instruments tous azimuts (cor, limbes synthétiques, toy instruments, percussions, bruitages…) ricochant sur des envolées vocales chastes. Point d’orgue du disque, la solennelle introduction a capella sur “Planes Like Vultures”, révélant progressivement une Chapelle Sixtine édifiée en hommage aux Beach Boys, où des choeurs mélancoliques en canon assaillent nos oreilles en état de siège. Scrupuleux de maintenir la trame, Le Loup sait se contenter de peu, doser parfaitement les degrés d’intimité, comme sur la superbe épure isolée “Breathing Rapture”. Ce sont, par la suite, des bruits imagés qui prennent d’assaut l’espace sur l’atmosphérique “(Storm)” : une tempête s’abat, à moins que ces samples naturels ultra hachés ne soient des rafales de mitraillettes. L’effet de guerre suggéré est pour le moins déstabilisant.

En guise d’épilogue, nous avons droit à un instant de plénitude totale, des gazouillis d’oiseau, symbole de l’accession à la purification. Après avoir traversé tant d’épreuves, l’esprit tourmenté – mais diablement prometteur – Sam Simkov méritait amplement de trouver la paix en lui. On attend désormais le retour de l’enfant prodigue avec impatience.

– Le Loup sur le site de Talitres

– Le Loup sur Myspace

– Une page consacrée à l’oeuvre de James Hampton