Sur son quatrième album, le duo débridé duo new yorkais nous montre l’art de faire du « buzz ».
Indubitablement, Battles, n’est plus la même formation que nous avons connu du temps du spectaculaire Mirrored (2007), un des rares disques des années 2000 à pouvoir prétendre envisager de nouvelles pistes en usant d’instruments dits “traditionnels”. Du quatuor historique, il ne reste aujourd’hui que le multi-instrumentiste Ian Williams et le batteur John Stanier. Les tournées interminables ont eu raison des deux autres, le cofondateur Tyondai Braxton parti en 2010, puis Dave Konopka (basse) en mai 2019. Réduit désormais à un binôme, l’ovni du label britannique Warp était-il capable de se réinventer ? Si, le scepticisme l’emporte depuis le stérile La Di Da Di paru déjà voilà cinq ans, il serait prématuré de négliger cette formation – du moins ce qu’il en reste-, qui a déjà prouvé par le passé qu’elle ne manquait pas de ressorts créatifs (le brillant et décomplexé Gloss Drop en 2011). Il en va de même pour Juice B Crypts, même si, il faut l’avouer, cette créativité connaît aujourd’hui diverses fortunes.
Produit et mixé par Chris Tabron (Trash Talk, Beyonce), ce quatrième opus renoue avec la formule collaborative initiée sur Gloss Drop (2011), soit avec des chanteurs/rappeurs extérieurs : la folkeuse débridée Tune-Yards, le duo hip hop Shabazz Palaces, la prodige du funk-jazz Xenia Rubinos ou encore Sal Manifesto des vétérans no wave Liquid Liquid, et même Jon Anderson, chanteur perché du groupe prog britannique Yes.
Si Battles a souvent été étiqueté expérimental, un brin « arty » voire cérébral, force est d’admettre que la formation aime brouiller les pistes, en mettant en avant une approche et esthétique ludique, débridée voire bigarrée. En ce sens, Juice B Crypts s’avère son cocktail sonique le plus exotique à ce jour. “Ambulance”, qui ouvre l’album nous donne l’impression de rentrer dans une drôle de salle d’arcade, spacieuse et décorée de néons fluorescents, ces derniers parasités par des bruitages “bleeps” et autres “uploading”. Et puis évidemment, l’affaire se complique rapidement, et finit par se muer en feu d’artifice math rock, au son d’une basse répétitive rythmé de contre-pieds infernaux.
La collaboration du disque la plus détonante est aussi à notre humble avis la plus inattendue : « Sugar Foot » délirium techno tribal porté par le chant incantatoire de Jon Anderson et la formation folk taïwanaise Prairie WWWW, on pense à une sorte d’Awaken version 2.0, un des morceaux phare des pontes du rock progressif anglais.
A partir de boucles primitives de Ian Williams, limites fauvistes, Battles creuse cette étrange matière, la déconstruit, la distend jusqu’à changer changer son code ADN, pour ensuite pilonner dessus avec une précision chirurgicale (« A Loop So Nice »). Ces dérivations ne sont certes pas toujours fructueuses, et parfois le duo semble aller nulle part (« Hiro3 » qui ferait presque office d’interlude, et l’étrange errance instrumentale « Fort Green Park »). Mais au-delà de ses habillages sonore techno-enfantins parfois déroutants, on prend toujours plaisir à scruter les prouesses de John Stanier, cet incroyable escaladeur de la pulsation extrême : comment va-t-il envisager son ascension ? Par quel versant va-t-il passer pour percer les loops de Ian Williams ? Et force est d’admettre qu’on se laisse surprendre une fois de plus par sa cymbale haut-perchée, notamment sur le morceau-titre de l’album « Juice B Crypts », « Last Supper On Shasta Pt. 2 » avec Tune-Yards, et sur le délirant “Titanium 2 Step”, qui n’aurait pas dépareillé sur Gloss Drop.
Faut-il pour autant être un musicien expérimenté pour apprécier Battles ? Oui et non, car John Stanier n’est pas un technicien au sens propre, son jeu est avant-tout décomplexé, imprévisible, spectaculaire. Son principal atout ? Le « Battleur” en chef a gardé sa phénoménale force de frappe, tirée de ses années dans la scène hardcore new yorkaise avec Helmet (réputé pour sa redoutable section rythmique). Rien que pour cette approche pulsative hors-norme, Battles mérite encore sa place. Juice B Crypts démontre que la guerre est loin d’être terminée et qu’il y a encore d’autres batailles passionnantes à mener.
Warp Records – 2019
En concert le 30 octobre à Paris, le Trabendo
Tracklisting :
- Ambulance
- A Loop So Nice…
- They Played It Twice (ft. Xenia Rubinos)
- Sugar Foot (ft. Jon Anderson and Prairie WWWW)
- Fort Greene Park
- Titanium 2 Step (ft. Sal Principato)
- Hiro 3
- Izm (ft. Shabazz Palaces)
- Juice B-Crypts
- Last Supper On Shasta Pt. 1 (ft. Tune-Yards)
- Last Supper On Shasta Pt. 2 (ft. Tune-Yards)