Comme tout militant de la cause rock qui se respecte, 31 Knots est un trio qui dépote un max. Avec tout de même une réflexion un peu plus poussée que la moyenne sur son approche bruitiste…
Remarque d’un collègue de travail, fin du mois de juillet:
-Hey, j’ai lu votre comte-rendu de Dour sur Pinkutruc. Pas une ligne sur la prestation de 31 Knots , vous étiez où, les gars ? C’était énorme !
-Heu…(mine perplexe) Désolé, je ne connais pas.
Je vis alors le visage de mon interlocuteur se décomposer, comme si, à l’instar d’Indiana Jones, j’avais retiré l’amulette sacrée de son socle et déclenché l’autodestruction imminente du Temple. Tout un monde s’écroule… Ben qu’est-ce que tu veux mon coco ? On n’a pas la science musicale infuse à la Pinkushion Team. On n’est pas non plus des machines (bien que… ). Il nous arrive aussi de passer à côté de plein de bonnes choses (Camera Obscura par exemple… mais ce n’est pas le bon endroit pour en parler, plus tard…) Bref, l’incident passe.
Le lendemain, on furete sur le web, et ça ne manque pas, seconde interpellation via un blogmag confrère : Performance cataclysmique de 31 Knots à Paris sur la scène du parc André Citroën. Le chroniqueur n’hésite pas à comparer un de leur morceau au choc procuré par “Smell Like Teen Spirit”. Allons donc… rien que ça. L’effet grossier volontairement provoqué s’inscrit pourtant quelque part dans notre cerveau concave. La traque de cette hypothétique 8e merveille du monde est lancée. On en fait une affaire personnelle.
Ce qui est embêtant avec ce genre d’éloge qui relève du «hors du commun» (ceci n’est pas une attaque personnelle, moi-même scribouilleur en use pour apâter les foules), c’est qu’on tombe souvent de haut après avoir mis la main dessus. Quand bien même le groupe est bon, sa description « exceptionnelle » engendre une certaine déception qui trouble forcément notre jugement.
En marge de toutes ses considérations, le CV de 31 KNots est pourtant exemplaire. A mille lieues de ces formations anglaises élevées au rang de phénomène interplanétaire après avoir seulement répété un après-midi dans leur cave, 31 Knots attend sagement son heure… Ce trio US extrémiste constitué du charismatique guitariste/chanteur Joe Haege (un bouffeur de vache enragé, pour sûr), le bassiste Jay Winebrenner et le batteur Joe Kelly, existe sous son line-up actuel depuis 1998 et compte quatre albums à son actif. Le petit dernier, certainement le meilleur, Talk Like Blood, a été enregistré par deux producteurs mercenaires, routiniers de missions (studios) impossibles : Jay Pellicci (Erase Errata, Deerhoof) et Scott Solter (Spoon).
Clarifions les choses, 31 Knots n’est pas assez accessible pour prétendre brasser une audience large, et ce n’est de toute façon certainement pas ce à quoi il aspire. Leur créneau a souvent été rangé dans la cathégorie « Math Rock », une équation rock combinant les genres emo hardcore et progressif, tendance King Crimson période Red (un power trio également). Au-delà des prouesses techniques ou expérimentales que cela sous-entend, le chant n’en est pas pour autant relégué au second plan et reste essentiellement mélodique.
A vrai dire, 31 Knots semble peu enclin à rentrer dans un moule quel qu’il soit. Et prend méticuleusement soin de nous le faire entendre. Alors qu’on s’attend à un déluge de décibels saturés dès le premier morceau, “City of Dust” trouble nos sens de la perception avec son air sorti d’une boîte à musique et une mélodie vocale claire. Pourtant, un son de friture sur la batterie laisse traîner quelque chose de pourri derrière lui… Le traitement du son sale et épuré les écarte d’entrée d’un quelconque combo de punk hardcore pour prépubères : pas de surcouches de guitares mais un volume sonore poussé constamment dans le rouge. Les plans de guitare déployés, très inventifs, ont tendance à sérieusement se compliquer et par prolongement donner du fil à retorde à la section rythmique. L’inquiétant “Talk Like Blood”, qui donne son nom à l’album, pourrait faire office de synthèse parfaite de leur approche séminale. Enfin la fondation pilière guitare/basse/batterie est généralement accompagnée d’ambiances éclectiques qui contrebalancent consciemment avec leur rock binaire furieux : un loop de violons bancal ou un piano incroyablement harmonique (“Proxy and Dominion”).
Comme éprouvant une peur viscérale du mot « facilité », 31 Knots met tout en oeuvre pour complexifier ses morceaux susceptibles de contenir un refrain trop évident. Ecoutez “Chain Reaction” : centré autour d’une ligne de chant remarquable, ce titre aurait aurait pu faire un excellent single. Au lieu de ça, le trio choisit de greffer une seconde partie plus extravagante qui double la durée du morceau (6 minutes).
Face a cette approche désarçonnante, on se dit que ces incorruptibles cherchent avant tout une alternative au ditktat consentuel d’une chanson en provoquant des accidents d’émotions brutales. Et parviennent généralement à leur fin. En dépit de tout, à consommer avec modération.
-Le site de Polyvinyl Records
NB : Le disque végète dans les bacs imports depuis un an mais bénéficie depuis peu d’une distribution décente via leur signature chez Polyvinyl, structure estimable de l’Illinois (Of Montreal, Ativin, Joan of Arc).