L’hyperactif Damon Albarn, petit génie de Blur et Gorillaz, nous en met plein les oreilles avec un groupe sans nom, mais qui a de la suite dans les idées
C’est l’un des projets les plus excitants de ce début d’année et, ô surprise, c’est à l’initiative de Damon Albarn, qui a la formidable habitude de transformer tout ce qu’il touche en or. Guidé par son imagination fertile, sa peur panique de l’inactivité, le natif d’East London arrive là où on ne l’attend pas, avec un art du contre-pied parfait. Cette fois-ci, le leader de Blur et de Gorillaz a sorti de son chapeau The Good, The Bad and The Queen, un projet étonnant mettant à l’oeuvre une sorte de super groupe, une Ligue des Musiciens Extraordinaires en quelque sorte.
Simon Tong tout d’abord. L’ancien guitariste de The Verve, qui jouait déjà sur le dernier album de Blur, Think Tank, après le départ de Graham Coxon et qui avait également participé à Demon Days, le second opus de Gorillaz, est de la partie.
Puis le batteur nigérian vétéran (66 ans) Tony Allen, pionnier de l’Afrobeat. En 1964, Allen se lança dans l’aventure avec Fela Kuti pour créer Koola Lobitosqui, qui devint plus tard Africa ’70. Kuti avait même osé un « Sans Tony Allen, il n’y aurait pas eu d’Afrobeat ». Respect.
Pour couronner le tout, le bassiste des Clash Paul Simonon a répondu au « Damon Calling ». Depuis la séparation des Clash, Paul se consacrait à sa deuxième grande passion, la peinture, multipliant les projets. Il est d’ailleurs l’auteur des pochettes de The Good The Bad And The Queen (GBQ à partir de maintenant, hein !). Et à la production, le fertile Brian « Danger Mouse » Burton, moitié de Gnarls Barkley, complète la dream team, lui qui avait déjà produit Gorillaz.
Pour trouver les racines de ce projet dément, il faut remonter à l’enregistrement de la dernière chanson de Blur au grand complet “Music Is My Radar”, à l’occasion de la sortie de leur album Best Of avec ces paroles : « Tony Allen got me dancing ». Contacté par Allen après cet hommage, Damon contribue en 2002 à l’album Home Cooking sur la sublime chanson “Every Season”. Devenus amis, ils décident de se faire la belle au Nigeria, à Lagos, pour enregistrer avec Tong et Burton. Mais Damon n’est pas satisfait du résultat et Burton souhaite un album plus londonien. Alors, Paul Simonon entre dans la danse et le projet prend sa tournure finale
Le résultat ? Un album puissant, aux sons lourds mais mélodieux, qui furète du côté du dub, du reggae même, vient faire un petit coup de Clash, se range vers les Specials puis revient vers Blur. GBQ est un opus à écouter, réécouter, une coquille dure sur laquelle il faut insister avant de pourvoir la briser. Des chansons qui évoquent Londres (“The Marble Arch”, une rivière, des collines, et le port de Tilbury…) et, selon Damon, « what it means to be English right now », dans une Angleterre au climat politique et social pesant. Sa voix flegmatique, voire blasée, se fond parfaitement avec l’avalanche de sons : guitare, clavier, piano, basse, batterie, violons ou choeurs.
L’album ouvre sur la lo-fi acoustique d’“History Song”, enchaîne sur une ballade plus légère mais moins aboutie “80’s Life”, puis reprend du souffle avec “Northern Whale” et sa géniale rythmique. Sur le second single “Kingdom of Doom”, sur lequel Danger Mouse fait les percus, la voix d’Albarn offre ce qu’elle a de plus beau pour chanter le désarroi : « Drink all day coz’ the country’s at war ». Immédiatement suivi par l’atmosphérique “Herculean”, premier single bluffant, amuse-gueule sorti fin octobre. Damon glisse ensuite “Behind The Sun”, une ballade intemporelle, puis arrive “The Bunting Song” et son clavier délicat.
Et GBQ ne s’essouffle pas. Les sifflotements obsédants qui achèvent “Nature Springs” viennent se loger dans nos têtes juste à côté de ceux de Young Folks de Peter, Bjorn and John. Ça siffle encore sur “Soldier’s Tale”, plus quelconque mais porté par la guitare asséchée de Simon Tong. Vient alors le puissant “Three Changes” et sa touche dub qui nous dévoile ce dont il est vraiment question dans cet album: « A stroppy little island of mixed-up people » (cette petite île têtue d’un peuple contrasté). “Green Fields”, une adaptation d’une chanson qu’Albarn avait écrite plusieurs années plus tôt, sent le Blur à plein nez.
La chanson-titre qui clôt l’album est jubilatoire : sept minutes de pure folie qui débutent par un piano vibrant, pénétrant. Albarn ne pouvait rester sur une note pessimiste : « The sun came out of the clouds » annonce-t-il, preuve qu’il croit encore en cette Angleterre qu’il aime tant. Ensuite, c’est le déchaînement, la prise de vitesse, chaque musicien y exposant son savoir-faire pour mettre un point d’orgue à ce que l’on avait tout de même déjà compris : ces gars-là jouent ensemble, pas les uns à côté des autres. GBQ est un album brillant, actuel, de ceux qui deviennent des disques de chevet. Le pari d’Albarn est réussi. Encore un. Au suivant.
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