En sept ans d’absence, les membres de Superflu ont pris du bide, mais leur musique pas une seule ride.
Nous qui avions 25 ans à la sortie de Et Puis Après On Verra Bien (1998) nous souvenons avoir été bouleversés par ces petites chroniques de notre quotidien. Notre vie qui nous semblait si compliquée, entre la gueule de bois quelques années après avoir quitté le nid, les grandes questions essentielles sur le énième grand amour de notre vie, les amis qui s’avéraient n’être que des copains, l’accumulation de déménagements au gré des fluctuations du marché de l’amour… tout était ausculté et déchiffré crûment par ce groupe surgi de nulle part à une époque où la musique n’existait que par les grosses guitares ou les gros blips électroniques. Un Guide Du Routard du jeune mélancolique en somme.
Puis en 2000, avec Tchin Tchin, Nicolas Falez et sa bande revenaient nous dire que tout ça n’était rien, qu’en vieillissant, en travaillant, en s’installant, tout cela devenait encore plus difficile, encore plus déchirant. L’amour est unique mais ce sont les ex de l’autre qui empoisonnent la vie, la mort de proches que l’on croyait immortels qui fait une entrée fracassante et dévaste notre cocon, avant même son inauguration et alors que l’on s’échine à ressembler à tout le monde.
Sur un album musicalement plus rêche, admirablement produit par Christian Quermalet, l’insatiable trublion de Married Monk, Superflu revient enfin hanter nos journées désormais bien installées. La Chance nous rappelle combien rien n’est jamais gagné. Toujours avec le même sens de l’écriture sans fard et le même don de la mélodie parfaite, les Lillois appuient très fort là où ça fait mal. La fidélité est culturelle alors que l’adultère est naturel (théorie d’un grand savant dans une émission télévisuelle racoleuse), certes, mais avec un peu d’effort, la personne qui vit à nos côtés demeure probablement la plus belle. «La chance c’est que le gras du bide / Ne te dégoûte pas» ou «Tu embrasses ce qui est laid en moi» sur « La Chance », n’est-ce pas la recette de l’amour au quotidien, quand ceux qui étaient deux en découvrant Superflu sont trois, quatre ou plus aujourd’hui ? Plus loin, « Quand Homme Blanc Coupe Du Bois », un sommet du répertoire de Superflu, propose l’arme absolue contre les tentations extra conjugales bassement érectiles.
La résonance qu’ont les chansons de Superflu avec ce que l’on voit quand on se retourne sur sa propre vie est infiniment troublante. Tout y est scruté et magnifiquement décrit. La trentaine, c’est l’âge des premiers divorces (somptueuse « La Femme Qui Cache La Forêt »), des luttes intestines qui pourrissent les couples (bouleversante « Appelle-ça Sommeil Si Tu Veux »). La trentaine, c’est aussi l’âge des premiers enfants, de la première paternité : « Nombril », morceau badin avec son piano bastringue et ses hands-clap rigolos, dresse un tableau saisissant de réalisme sur l’imminence de l’arrivée du premier enfant, tout en disséquant ce traumatisme psychologique du futur père. Encore inconscient du bouleversement de statut qui s’opèrera quand il passera de post-ado à personne responsable le temps d’un cri déchirant, il balance entre un cortège de questionnements cruels et un abandon total devant une sensualité toute en rondeurs de sa mie. Et tout est dit avec une poignée de mots étourdissants de poésie.
Superflu, sur La Chance, nous permet une fois de plus de verser une larme au constat que finalement, on s’en sort pas si mal. On a le droit de souffrir, d’être triste, de douter, d’être exaspérant, d’être banal. Et pour ceux qui ne connaissent pas encore Superflu, si par le plus grand des hasards vous aviez 25 ans, procurez-vous les trois albums sans attendre, mais déflorez-les en respectant la chronologie et le parallèle avec votre âge. Sans cela, il se pourrait bien que l’extraordinaire force qui se dégage de cette oeuvre vous échappe littéralement. Quant à nous, on a juste envie de dire à Superflu qu’on est heureux de constater que « Le Vide Est De Retour ». Plus fort que jamais.
– Lire également l’interview de Nicolas Falez