Imbibé de références eighties, ce troisième album de The War on Drugs distord le rock americana dans des contrées atmosphériques fascinantes. Frisson garanti.
A l’écoute de ce troisième album des philadelphiens The War on Drugs, les connections avec leur vieil ami Kurt Vile ne sont pas prêtes d’être coupées. Alors que le talentueux guitariste a récolté un succès retentissant outre atlantique l’an dernier avec son cinquième album, Wakin on a Pretty Daze, Adam Granduciel, la tête pensante derrière WOD, n’a pas encore accédé à cette notoriété. Une injustice, tant dès leurs premiers albums respectifs, les deux musicien ont étroitement collaboré et contribué à façonner ensemble ce son rock laid-back sophistiqué, à la fois solaire et parasité, enivrant… Eu égard de l’étroit cousinage sonore entre Wakin on a Pretty Daze et Lost in Dreams, on ne voit pas comment WOD ne pourrait pas enfin goûter à son tour à une reconnaissance large et méritée.
« Dream Baby Dream », chantait en 1977 Alan Vega, le poète trash de Suicide. Dernièrement, le « Boss » en personne, fan de longue date, a repris ce titre sur son nouvel album High Hopes. C’est une pure coïncidence, mais Lost in Dreams pourrait bien être la synthèse fantasmée entre le rocker du New Jersey et le cultissime duo electro punk new yorkais. Au fond, ce n’est pas une surprise, le son de The War On Drugs bien que très pointu, est en même temps profondément ancré dans la culture rock americana. Depuis le déjà formidable Slave Ambient, Adam Granduciel a encore aiguisé son écriture en termes de dynamique et de notion de temps, décuplant de même le degré d’intensité de ses nappes synthétiques planantes – En guise d’ouverture, l’incroyable « Under Pressure » s’étire sur neuf minutes d’errance contemplative irradiée.
Certains compositions ont un côté elliptique, dotées de progressions harmoniques qui semblent jouer une boucle sans fin – « An Ocean In Between The Waves », audacieux accélérateur de pulsions qui freine à grand fracas au bout de sept minutes et des poussières. A l’inverse, d’autres sont particulièrement concises et formatées – le fougueux et imparable « Red Eyes », single tout désigné. La longueur inhabituelle de certains morceaux le rapproche forcément un peu du dernier album de Kurt Vile, bien que l’effort porté sur les textures électroniques sur Lost in Dreams supplante les guitares. Car le fil conducteur de ce disque, c’est bien cette sensation de flottement vers la lumière, cet éclat intense qui l’irrigue de bout en bout.
Lost in Dreams donne l’impression d’un vieux transistor cassé d’où sortiraient des enceintes d’étranges versions des productions FM de Tom Petty et de Born in the USA, voire le tube « Boys of Summer » de Don Henley passé à la moulinette post-rock… Ce serait la bande-son d’un road movie filmé parle le Ridley Scott de Thelma & Louise, à écouter de préférence en roulant à travers le désert… la Cadillac décapotable sur la pochette de l’album Tunnel of Love fonçant droit vers les grands espaces arides, pour disparaître au loin (l’émouvant aurore finale « In Reverse »). Vous l’aurez compris, Lost in Dreams est déroutant, trouble nos sens dans sa façon de passer au filtre le classic rock US. Le consortium narco-rock d’Adam Granduciel a atteint un nouveau stade dans sa quête brûlante de lumière. Un disque éblouissant, voire aveuglant.