Jeune auteur-compositeur français, Lou est l’Auteur de deux albums auto-produits, dont le dernier en date, Des hauts et des bas, est une des plus belles surprises à l’échellon national, dans la veine du dernier Cat Power. Un entretien croisé avec son producteur attitré Dimitri Tikovoï, grand manitou du cabaret punk Trash Palace, où ils reviennent sur leur façon de travailler, leur collaboration et la position d’un artiste indépendant face à l’industrie du disque. La langue de bois n’est pas de rigueur.


La musique était-elle présente dans ta famille?

Lou: Pas du tout. Je ne suis pas issue d’une famille qui écoute beaucoup de musique. Je faisais beaucoup de danse et c’est à travers cette discipline que j’ai trouvé un lien avec la musique. Au fil des ans, je me suis rendue compte que c’était la musique qui me plaisait dans la danse. Je dépensais tout mon argent de poche dans l’achat de disques et encore aujourd’hui je ne comprends pas d’où vient ce rapport-passion avec la musique. En fait, j’écoutais énormément la radio, et faire de la musique m’est venu naturellement. Je me suis laissée portée par les évènements sans avoir un projet particulier, je voulais être artiste, ça c’est sûr.

Dimitri Tikovoï: Je suis né dans une communauté d’artistes, mes parents étant dans le milieu artistique, par contre je ne me souviens plus pourquoi je me suis retrouvé à faire de la musique. Lorsque j’étais enfant, je regardais en boucle les films où jouait Elvis Presley, même si c’étaient des merdes, je reste attaché à ces films. Je dansais sur la table et je voulais devenir Elvis Presley, bon ça a mal tourné. (rires)
Je crois que c’est dans « Jailhouse Rock », je ne me souviens plus du titre du film où Elvis signe son premier contrat de maison de disque et entre dans un studio d’enregistrement pour jouer son premier morceau ; cette séquence a fait comme un flash dans ma tête. Je devais avoir huit ans à l’époque et cette scène m’a tellement marqué que je voulais reconstruire le studio dans ma chambre. L’ambiance du studio m’avait fasciné.

Quelle est ton approche par rapport à la composition?

Lou: Elle est très obscure. Je ne joue pas la musique, ne lis pas la musique, ne joue de presque aucun instrument. C’est une approche instinctive, je mets une boîte à rythme, une basse ou un arpège de guitare, quelques idées, j’écris le texte en fonction de ce que ce climat minimal m’inspire et j’envoie le tout à Dimitri. Je compose avec les objets qui me tombent sous la main, musicalement c’est approximatif mais il y a une atmosphère et ça détermine ce que sera la chanson.

Dimitri: Je viens plus d’une culture musicale mais j’essaie de m’en défaire le plus possible parce que c’est un handicap pour pouvoir avancer. Lorsque je travaille avec Lou, ce qui m’intéresse est d’éviter de tomber dans ces travers, aussi on façonne sur des ambiances plus que de la musique.

Lou: Dans les morceaux, il n’y a rien d’élaboré mais une indication qui donne un sens et qui détermine du fond et de la forme d’une chanson.

Dimitri: Ce qui est stimulant avec Lou, c’est qu’à chaque fois que nous travaillons ensemble, on essaie de trouver une méthode. Du fait que j’ai appris à écrire la musique, je contrôle ce que je compose, et par conséquent j’essaie le plus possible de me détacher de ce lien. Une fois que nous avons trouvé une méthode, on tente de s’en débarrasser et de construire une nouvelle technique pour arriver à un but final. Dès qu’une méthode est acquise, il faut l’effacer et redémarrer de zéro, sinon on tombe dans des clichés.

Lou: On part souvent de rien. Par exemple, si nous n’avons pas de studio avec une batterie ou d’autres instruments, Dimitri doit construire quelque chose sans tout ce matériel. Alors, on part d’un son, d’une boucle, de la voix ; tout se passe très simplement et très rapidement.

Quelles sont vos influences?

Lou: Mes influences sont assez disparates et très lointaines de ce que je produis vocalement. Ça peut être du rythme & blues par exemple.

Dimitri: Pour l’album de Lou (Ndlr « des hauts et des bas »), j’avais en tête des images du premier film de Lucas « THX » où dans une scène on aperçoit des personnages qui sont dans une prison, un espace vide blanc qui est en fait un désert de blanc sans limite. Il y a ce côté aseptisé, vide et les personnages organiques au milieu. Pour réaliser le disque, nous voulions créer une musique autour d’un espace blanc, un décor froid et poser la voix comme quelque chose d’organique au centre de ce néant.

Comment s’est passée ta rencontre avec Michael J. Sheehy?


Lou: Dimitri travaillait avec Michael et me disait qu’il y avait quelque chose de commun entre nous et je ne voyais pas forcément ce lien. Michael est une personne un peu distante comme moi, et ainsi le rapport s’est créé. Pour aboutir à « l’amirauté », nous n’avons pas beaucoup parlé mais on se comprenait, l’échange s’est réalisé par les émotions.

Dimitri: Le problème en France est de mettre tout dans des catégories. Dès lors que Lou est française, il y a ce côté français qui fera barrière. Alors que si Lou était anglo-saxonne, elle serait placée avec les Cat Power, les chanteuses songwriters car actuellement Lou est peut être la meilleure songwriter française. Pour moi, Lou et Michael proviennent de la même famille et donc je trouvais fascinant de regrouper deux personnes qui expriment les mêmes sensations.

Comment appréhendes-tu la scène?

Lou: Je voudrais que ce soit une « messe », une incantation amoureuse, quelque chose de sacré. Je suis très attachée à cet album, il est pour moi une réussite personnelle, aussi je conçois la scène comme une sorte de cérémonie, un rituel.

Comment interprètes-tu les atmosphères pesantes voir envoûtantes présentes dans ton album?

Lou: Il n’y a qu’un thème dans ma musique : l’obsession, perpétuel va et vient entre désir et manque. Toutefois, lorsque je travaille avec Dimitri l’atmosphère est légère, on rit beaucoup.

Dimitri: Sans être prétentieux, on essaie de créer des objets, des ambiances qui nous parlent. La direction est empruntée à une image, à une technique utilisée.

Quelle est votre position par rapport au business qui entoure la musique de nos jours? Comment arriver à trouver sa place ?

Dimitri: Il n’y a pas de place aujourd’hui pour nous. La seule chose qui intéresse les gros médias est de gagner de l’argent. Lorsque tu vois que Marianne Faithfull s’est faite virer de sa maison de disque, c’est grave!
Il n’y a pas de places pour des gens comme nous. Heureusement qu’il existe des personnes passionnées par la musique et pas seulement des esclaves de campagnes marketing. La situation avec l’industrie du disque est catastrophique pour les vrais artistes. Malheureusement, il n’y a qu’une minorité d’artistes qui ont vraiment quelque chose à raconter qui arrivent à s’en sortir. Michael (Ndlr Michael J. Sheehy) en est un exemple typique, c’est mon Van Gogh ; il va crever sans un rond et un jour peut être on le redécouvrira et je gagnerai beaucoup d’argent. (rires)
Nous ne sommes pas à l’écart de ce business, au contraire on est plein dedans. Et il n’y a pas de multitudes de solutions, d’alternatives pour se faire entendre. Même pour se produire en concert aujourd’hui, si tu n’as pas une major derrière toi, c’est quasiment impossible!
Un magazine de la presse musicale, un des trois plus connus dont on taira le nom, était intéressé pour mettre un des morceaux de Lou sur leur sampler moyennant environ 2300 euros en sous table où à moins d’acheter une pub. Un artiste indépendant, un auto produit qui finance son album ne peut pas payer cette somme. Ces personnes n’ont rien à voir avec la musique!

Lou: Lorsque tu vois que certaines radios demandent aux maisons de disques de réenregistrer des morceaux pour qu’ils correspondent à un format précis!…no comment

Avec qui aimerais-tu travailler?

Lou: Si Dimitri n’est pas libre… Tricky. J’aime beaucoup son approche de la musique. Mais ça n’est pas parce que tu aimes le travail d’un artiste que la rencontre va s’opérer.

Qu’est-ce que peut vous apporter de nouveaux médias comme internet?

Lou: Internet est une sorte de boîte de pandore à la fois un peu vide et formidable. Mon premier album avait pour titre mon site internet. La situation sur Internet est la même que partout, s’y faire remarquer est aussi difficile. Communication + argent= mediatisation. Par contre, l’email a changé le sens de la communication, il est devenu un moyen de travail à part entière. Sans email, je ne sais pas comment je ferais pour communiquer avec les radios, les médias, la presse, c’est un outil de travail très pratique, surtout pour quelqu’un comme moi, un peu « fachée » avec le téléphone.

Dimitri: Internet est un outil fantastique pour découvrir par exemple des musiques qu’on n’achèterait pas forcément. Par contre lorsque je vois sur certains sites que l’album de Trash Palace (Ndlr album de Dimitri Tikovoï avec entre autres Brian Molko, Asia Argento, Alison Shaw, Jean-Louis Murat) est en téléchargement intégral gratuit le lendemain de sa sortie commerciale, ça m’affecte. Les petits artistes ont la possibilité d’être découverts mais sont plus touchés matériellement.

Lou: Je préférerais que l’état baisse la taxe sur les disques. Peut être que ça stimulerait les ventes des disques des « petits » artistes. Sur les auto produits, la marge des disquaires est faible et ne disposant pas de grandes quantités de disques, il nous est difficile de rivaliser avec les grosses structures qui de plus, bénéficient de campagnes commerciales. Mais je préfère parler de l’album que de l’objet-disque. Le plus important c’est de faire des chansons , le reste…

Lou, Des hauts et des bas (Autoproduction / Musicast)

– le site officiel de LOU