Un visage qui dégage la sérénité. A 23 ans seulement, Syd Matters semble aussi posé et serein qu’un moine tibétain. Il est d’ailleurs bluffant de constater la première fois qu’on le rencontre combien sa musique se reflète dans son allure, sa manière de parler. Fier géniteur d’ A whisper and Sigh sorti l’année dernière, le gagnant du premier concours CQFD Inrocks enfile depuis les baptêmes et explore son rêve éveillé pour le retranscrire dans sa musique. Histoire de casser un peu la routine du question-réponse nous lui proposons d’établir son classement de ses albums favoris, mais aussi ses autres inspirations et coups de gueule. Une chose est sûre, Syd Matters ne chuchote pas lorsqu’il sagit d’évoquer ses passions.


N°5 : Rock Bottom, Robert Wyatt

Syd Matters : J’ai découvert Robert Wyatt pendant l’enregistrement de l’album. C’est mon label qui m’a fait découvrir et j’ai tout de suite adoré. C’était dans une période où tu crois que tu as tout écouté dans le milieu pop, Rock Bottom m’a vraiment marqué, je le réécoute très souvent.

Pinkushion : Malgré le fait que Rock Bottom fonctionne un peu comme une entité, est-ce qu’il y a un passage particulier que tu apprécies sur l’album ?


Le truc, c’est que c’est le genre d’album que j’adore dans le sens où je suis incapable d’écouter une chanson du reste de l’album. C’est un disque qui m’a fait arriver en retard pendant un an, parce que j’ai eu la mauvaise idée de l’écouter le matin, alors que je suis incapable d’écouter de la musique en m’habillant. Je mets le CD juste avant de m’habiller, et je suis pris au piège, je m’assois sur mon lit et je l’écoute pendant quarante minutes sans bouger! C’est un album que tu es obligé d’écouter d’une traite mais je ne m’en lasse jamais, c’est dingue.
J’ai écouté ce que Robert Wyatt a fait par la suite, il y a de super bonnes choses mais on ne retrouve pas cette espèce de cohérence sur quarante-cinq minutes. Vraiment il y a de la magie là-dedans.

N°4 : Nick Drake, Five Leaves Left

Du coup là c’est une autre ambiance, avec un album que tu peux tout à fait écouter par petits bouts. Ce que j’adore dans Five Leaves Left c’est que ça sonne super évident, je veux dire par là que Nick Drake n’a besoin que de sa guitare, sa voix incroyable et les arrangements de Robert Kirby. Il n’y a que des perles sur ce disque, des chansons vraiment parfaites.
Les trois albums de Nick Drake sont magnifiques mais s’il ne devait en rester qu’un, ce serait assurément le premier. Parce que c’est vraiment la synthèse idéale de la chanson en général, avec quelque chose d’un peu plus ambitieux. Même au niveau des textes, je ne suis pas un fan des grands songwriters, mais ceux de Nick Drake en l’occurrence me touchent beaucoup.
Il y a deux chansons que j’adore, c’est « Fruit Tree ». Magnifique. C’est con comme mot « magnifique », mais cette chanson est tellement incroyable. « Time has Told me » est également d’une simplicité de mix désarmante : tu as lui avec sa guitare au centre et à gauche tu as la guitare lead. Chaques partie c’est du miel pour les oreilles.

Pinkushion : Il y aussi quelques chose de marquant chez Nick Drake, c’est qu’il utilise des progressions d’accords assez simples et conventionnelles, mais tu ne les entends pas. C’est assez bluffant.

Oui c’est ça. C’est sûrement un des meilleurs guitaristes que j’ai pu entendre et en même temps ses parties de guitares ne s’imposent pas. Il n’y a pas ce côté riff de l’instrument, tu n’entends pas franchement ce qu’il fait – la guitare n’est pas mixée en avant – mais quand tu écoutes c’est d’une richesse incroyable. Effectivement, harmoniquement ce n’est pas forcément super novateur. Simplement, il avait déjà des accordages bizarres : un accord joué avec son accordage à lui ne sonne pas de la même façon qu’un accordage standard bas de manche. En tout cas ça coule à l’écoute et c’est super impressionnant.

N°3 Frank Black, Teenager of the Year

C’est pas forcément un album que j’écoute beaucoup maintenant, mais je l’ai écouté énormément. Il y a vingt-deux chansons sur l’album et il n’y en a pas une à jeter. Il y a vraiment de la quantité, c’est comme un gros gâteau, mais c’est aussi un côté que j’adore, ne pas avoir peur du ridicule : c’est un peu kitch, ringard mais on s’en fout, il y a des sons partout et c’est super riche. Ce que Frank Black fait, personne d’autre ne peut le faire comme lui. C’est d’ailleurs lui qui m’a fait réviser un jugement primordial : avant, j’avais l’impression que l’originalité c’était le truc essentiel de la musique. Ores, cela ne veut évidemment rien dire car plus tu te forges ta culture musicale et plus tu t’aperçois que rien n’est vraiment original. Par contre la personnalité c’est vraiment ça qui compte.
Sa musique s’est peut-être un peu acidulé avec ce qu’il a fait ensuite avec les Catholics, mais il a une telle personnalité qu’il pourrait se lancer sur une chanson ultra-basique et bien personne ne la fera sonner comme lui. On peut reprendre une chanson de Frank Black, mais personne ne peut le faire aussi bien que lui.

Tu considères que sa carrière solo est aussi bonne que celle avec les Pixies ?

Tout à fait , ses trois premiers albums sont intouchables. Même The Cult Of Ray est un super album, c’est d’ailleurs le premier que j’ai connu. Une chanson comme  » Men in Black » c’est terrible ! Alors pareil, ça n’a rien à voir avec Nick Drake, mais j’adore le jeu de guitare de Frank Black.

La singularité de Frank Black, c’est surtout ses progressions d’accords inhabituelles.


Tout à fait, il cherche vraiment. Et encore une fois, sa guitare est mixée derrière on l’entend à peine. Bon maintenant il a opté pour ce gros son, mais avant, tu avais des trucs de malade avec trois notes super dissonantes, ça bouge tout le temps. Alors évidemment les Pixies, tout le monde s’accorde à dire que c’était génial, moi le premier. Mais ce qu’il a fait par la suite c’est bien aussi.

As-tu entendu parler de la reformation des Pixies avec la première partie des Red Hot Chili Peppers?


J’ai lu ça oui et je me demande ce que ça va donner. Ça m’emmerde un peu qu’ils fassent la première partie des Red Hot. D’un côté je vais aller les voir et je me dis que peut-être qu’ils se rendront compte que c’était peut-être pas une si bonne idée de se reformer. Mais bon, si c’est le prix à payer pour les voir.(NDLR : depuis deux dates ont été ajoutées en tête d’affiche au Zénith et Syd peut dormir tranquille).

N°2 Gorky’s Zygotic Mynci – Spanish Dance Troupe

Tous les albums de Gorky’s sont fabuleux, mais celui-là particulièrement. C’est aussi l’art de la chanson parfaite : 3 min 20 et encore rien à jeter. Voilà une musique qui me touche profondément, ce qui est extrêmement rare. J’écoute de la musique mais je suis super fermé dans mes goûts. J’écoute plein de disques mais y a peu de choses qui me plaisent réellement. Alors des albums et des groupes comme ça, ça fait plaisir.

N°1 Radiohead – Kid A

Un bouleversement énorme. J’ai commencé à être fan de Radiohead au moment d’OK Computer, qui est un classique du rock. Personnellement, il y a un avant et un après OK Computer. Lorsque tu veux te forger une culture musicale, tu as des étapes à franchir et j’estime que tu es obligé de passer par Radiohead. Parce que quoiqu’on en pense, cette espèce de pop aérienne faite par les Coldplay et compagnie c’est Radiohead qui l’a forgé. Et puis un jour ces mecs arrivent avec Kid A et rendent complètement ringard les voix fluettes et le lyrisme. Je trouve cette démarche vraiment respectable. Ils utilisent des sons incroyables sur cet album. J’ai été attiré par la musique électronique il y a quelques années (Warp, ect). Mais après Kid A je ne peux plus écouter ce genre de musique, cet album est devenu une synthèse idéale. C’est du Beatles à la sauce électro, il n’y avait plus ce côté collage répétitif. Kid A, c’est tout ce que peux apporter la musique électronique avec la profondeur d’une composition pop.

Finalement, je remarque que le lien entre tous les albums dont je t’ai parlé c’est la cohésion d’ensemble. Tu vois, même sur Teenager of the Year, il y a des chansons qui peuvent s’écouter séparément, mais si tu écoutes l’album d’un trait, il y a une ampleur qui se dégage de ça. et qui reste très impressionnant.

As-tu un modèle de chanson parfaite ?


Pas vraiment, j’ai beaucoup de modèles mais pas un unique exemple. Le truc important -ou en tout cas ce que j’aime dans une chanson-, c’est quand je ne la comprends pas. C’est quelque chose qui n’est pas forcément technique, mais que simplement je n’aurais pas pu faire moi-même un résonnement pareil. J’adore quand tout le processus créatif ne s’entend pas et que la chanson vit par elle-même.
A partir du moment où tu peux expliquer une chanson, la magie n’opère plus. C’est pour ça que je n’ai jamais été un fan de jazz, de guitar hero et de musique technique en général, parce qu’on comprend d’où la fascination vient.
En même temps je ne veux pas juger parce que je n’ai pas la culture musicale appropriée. Et c’est pour ça que je ne passe trois mois en studios pour enregistrer une chanson. Deux jours maximums sinon la spontanéité et le côté mystérieux s’évaporent.

Il y a t-il des films ou des livres qui t’ont influencé ?


Je ne suis pas un réel cinéphile, j’y vais plus pour me divertir et passer un bon moment plus qu’autre chose, mais il y a des films que j’ai adoré récemment. Donnie Darko par exemple, terrible. La bande-son est merveilleuse et à mon avis ça a du jouer vachement sur la perception que j’ai eu du film.
Sinon au rayon classique il y a Blade-Runner de Ridley Scott, un chef d’œuvre où tu as trois dialogues et juste des plans supers lents. En général, les films plutôt lents et contemplatifs, c’est ça que j’aime. Et dans les bouquins c’est pareil. Les auteurs que j’adore sont des romanciers comme John Crowley , Little, Big. Il y a quatre actions dans le livre : c’est l’histoire d’un mec qui est sous un abris-bus et il y a peut-être trois ou quatre chapitres où il reste là.
J’ai également beaucoup lu de science-fiction quand j’étais jeune et je continue à en lire : Ray Bradbury, des recueils de nouvelles comme Bien après minuit ou Les chroniques martiennes.Le seigneur des anneaux aussi est un bouquin de chevet. Ce que j’aime bien chez Tolkien, c’est qu’il expliquait que son livre n’était pas du tout une allégorie du monde actuel, il a voulu faire une autre création totalement vierge. Cette idée me plait bien : pourquoi toujours parler de quelque chose pour parler d’autre chose ? C’est bien aussi de partir complètement.

Tu as aimé le film ?

J’ai adoré. Pour le coup, c’est du très bon divertissement. J’aime bien le côté voyage, c’est un réel road-movie…

Certaines scènes d’actions dans le film ont d’ailleurs été rajoutées comme le combat au sommet de la tour. Et parallèlement, il n’y a pas vraiment d’action dans le bouquin, ou bien elle se déroule indirectement. Le premier tome par exemple, les héros ne font – en gros – que marcher !

Exactement et d’ailleurs c’est le meilleur (rires). Oui, ça prend son temps, il a voulu écrire une histoire qui ne tient pas sur 150 pages. Par contre, si tu regardes les versions longues en DVD, elles sont bien plus riches. C’est assez éprouvant mais tu as justement ce côté contemplatif. Ce que j’aime dans le film, c’est que c’est visuellement superbement bien retranscrit. Tu as vraiment l’impression de voir la terre du milieu, le truc que tu as rêvé quand tu étais gamin. Ça reste du divertissement, je ne mets pas ça sur le même plan que d’autres bouquins ou des choses comme ça. Les films ne m’inspirent pas vraiment. Les choses qui m’inspirent sont en général des bouquins ou ce que je vis moi. Par exemple lorsque je finis un bouquin et que j’aimerai accompagner un certain sentiment qui se dégageait du livre avec ma musique. Ce genre de chose…

Y-a-t-il un artiste récent que tu apprécies ?

J’aime bien Midlake qui est d’ailleurs aussi chez V2 ! Ce n’est pas de la propagande, mais c’est seulement qu’ils m’ont filé plein de disque récemment. Ça se rapproche un peu de Granddady avec des mini-symphonies à quatre claviers. En plus, les compositions sont là et pour le coup j’ai vraiment adoré, c’est vraiment très réussi.

In fine, est-ce qu’il y a quelque chose qui t’énerves en ce moment ?

Ce qui est un peu nouveau pour moi, c’est le milieu de la musique à Paris. A partir du moment où tu commences à fréquenter les soirées parisiennes qui se passent entre Oberkampf et Bastille en passant par République où les mecs sont tous pareils. Cette espèce d’ambiance hyper faux-cul. C’est vraiment un milieu que j’ai découvert et que je n’aime pas du tout. c’est vraiment pédant, les mecs écoutent tous la même chose, ils sont tous fringués pareil et ils aiment bien le hip hop instrumental qui « défonce ». Ils ont tous des surnoms à la con et tu les entends rire avec leur téléphone portable (NDLR : Syd prend un air niais et imite leur rire : « han han han han han ! »). Franchement, C’est vraiment incroyable cette faculté dans ce genre de milieu où tous les gens sont tous les même. Ça m’énerve, je n’aime pas cette clique là. Tu peux conserver ce passage, j’en avais gros sur le coeur.

Ça sera fait…

Syd Matters, A Whisper and a Sight (V2/Third Side Records)