La dernière date de tournée, ce n’est jamais bon signe pour un gratte-papier… les musiciens sont généralement épuisés physiquement et moralement, d’où quelque appréhension avant de franchir le palier de la salle de la Maroquinerie pour rencontrer Howe Gelb, mythique entrepreneur de la fondation Giant Sand. Dans les loges, notre homme est affalé sur le divan, grignote des amuse-gueule en compagnie de quelques amis français venus le saluer avant de grimper sur scène accompagné de ses musiciens du « sud profond de la…Scandinavie ».


Un peu mystique sur les bords, ce grand gaillard aux cheveux grisonnant et au bouc de richelieu ne laisse pas indifférent. Toujours posé, les réponses sortant de sa voix lente et grave semblent presque siffler une mélodie imaginaire. On se laisse porter par son souffle.

Pour cette dernière date de concert de Giant Sand nouvelle mouture ( Joey Burns et John Convertino étant partis fonder qui vous savez… on évitera d’évoquer le sujet de peur de froisser notre homme), le musicien et patron du label Thrill Jockey tourne actuellement avec des musiciens scandinaves. A l’image que l’on se fait des gens du nord, nos jeunes accompagnateurs ne sont pas très bavards, mais d’une gentillesse insupportable. Howe Gelb, quand à lui, capitaine imperturbable, fait également entendre sur scène qu’il est le seul maître à bord, développant une alchimie de groupe à la fois hypnotique et improvisée : durant plus de deux heures et demie le patron alterne entre guitare et piano, entame un morceau et le termine quand bon lui semble, il ne reste plus qu’au groupe de prendre le train en marche. Mais la formule fonctionne admirablement bien, ce sont tous ses rebondissements qui rendent les concerts de Giant Sand si uniques, à fleur de peau. Il n’y a pas de règle ici, si ce n’est de faire partager un peu de ce sable fin en provenance du désert d’Arizona, aride et mystérieux. Faites donc place.

Pinkushion : Comment procèdes-tu lorsque tu enregistres des chansons ? Est-ce que tu te dis par exemple que cette chanson là serait parfaite pour Giant Sand plutôt que celle-ci, qui conviendrait davantage à un disque solo…

Howe Gelb : Non. Parfois… (silence) Parfois, je me dis : « tiens, celle-ci serait peut-être bien pour le groupe», mais je n’ai jamais forcé ou manipulé quoi que ce soit pour le groupe. Beaucoup de ces chansons ont émergé avec le groupe, elles ont évolué et atteint une certaine maturité. C’est un peu comme dans la vie aussi. Dans ces chansons, il faut qu’il y est de la vie, il faut que tu en donnes pour que ça fonctionne. Autrement, je joue avec des musiciens et je sens que c’est pas mal, mais j’ai besoin d’aller voir ailleurs car il manque quelque chose. Donc, je ne le sais qu’après avoir joué avec les musiciens.

On parle souvent de « desert songs » pour évoquer l’univers de Giant Sand. Est-ce que tu es d’accord avec cette comparaison ?

Tu sais, le désert change constamment, plus spécialement certains jours : lorsqu’il pleut, avec le vent… c’est ce que j’aime là-dedans. Pour les chansons, c’est pareil. Si tu veux un terme, je préfère penser à celui d' »erosion songs ». Je pense que c’est plus approprié. Le son de l’érosion…

Pour en venir à ce nouvel album, c’est ta seconde collaboration avec John Parish, qui est bien plus qu’un producteur, il est également musicien et joue sur tes albums. Comment décrirais-tu cette collaboration ?

Il est devenu comme un frère. Quand tu passes du temps à enregistrer avec des gens, cela devient comme une petite famille autour de toi. C’est d’ailleurs une bonne excuse pour faire venir la famille en studio ! Mais j’ai confiance en John et j’aime ses idées, c’est donc plus facile de faire du bon travail. Et puis il est bien plus discipliné que moi. (ndlr : il crie) Scatterbrain technique !!!! (trad : écervélé) Tu sais ce que ça veux dire ? Lorsque tu fais trop de choses en même temps, tu es effrayé. John, lui, ne se perd jamais.

(NDLR : Quelqu’un vient apporter du café, Howe se lève et bondit sur le plateau. Nous faisons une pause pour boire le café, mais je me rends compte que le bonhomme semble parti ailleurs. J’essaie de le garder concentré sur l’entretien.. Finalement il revient sur le canapé. Je feins d’essuyer l’air de rien la goutte de sueur sur mon front…)

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Tu parlais de famille tout à l’heure. Il y a une tradition dans les disques de Giant Sand, celle des invités qui viennent prêter main forte au disque. Ça ne t’effraie jamais ? Parfois, on dit que trop d’invités distraient et nuient à l’ensemble d’un disque…

Oui, mais j’essaie de faire en sorte que ça ne se produise pas. Par exemple, sur notre dernier disque, ce n’est pas très important qu’un ami soit ou non sur le disque. Ça ne devrait pas compter que tu saches qui a enregistré quoi avant d’écouter une chanson. Ça ne devrait pas compter. Le comble, c’est que les maisons de disques veulent toujours mettre un sticker avec « tel musicien est sur le disque… ». Ce n’est pas bien. Bon, il y a des exceptions, comme Willie Nelson… Là, on peut foncer et les mettre en premier plan. Mais pour quelqu’un qui pousse juste un cri ou un petit truc dans le genre, je trouve que ce devrait être caché au dos du disque. Et quand tu écoutes ce passage et que tu te dis, « wow, c’est cool, qui c’est ?», là, je pense que c’est utile.

Et tu ne peux pas contrôler cela ?

Non, c’est une de ces choses qui échappent à ton contrôle. C’est presque un piège dans lequel tu tombes avec les maisons de disque. Mais ce n’est pas si mal. D’habitude, si tu rappelles leur avoir dit que tu ne veux pas de sticker, ils ne le mettent pas. Mais si tu oublies ! là, c’est autre chose…

Sur l’album, il y a aussi une reprise des Sex Pistols chantée par ta fille.

Tu sais, elle est arrivée à un âge où elle a finalement découvert tous ces groupes qui étaient si importants pour moi en 1997. Elle chantait « Anarchy  » à la maison, good girl ! J’ai pensé que ce serait une bonne idée de l’inclure dans l’album. Nous avons enregistré la partie instrumentale en studio, puis j’ai enregistré sa voix sur mini-disc, dans le salon. C’est pour cela que la chanson sonne étrange, mais j’aime beaucoup.

Elle se débrouille pas mal…

Oui, c’est une bonne manière et naturelle d’enregistrer. Elle a 17 ans, commence à jouer de la guitare et un peu de basse. Elle a aussi bon goût, en ce moment elle écoute beaucoup, ce groupe, comment s’appelle-t-il déjà ? Ah oui, The Arcade Fire. Excellent, ils vont devenir énormes.

Ce sont des canadiens.

L’un des musiciens vient du Texas. Ma fille m’a fait écouter ce groupe et m’a demandé ce que j’en pensais, je lui dis que ça sonnait bien. Et puis j’ai reçu un coup de fil quelques temps après, c’était le batteur d’Arcade Fire, (Jérémy Gara, également manager d’Arcade Fire) il était en ville avec le groupe. Je lui ai demandé dans quel groupe il jouait, et lorsque j’ai réalisé, je me suis dit : « ah ok ! ». Lui et moi allons enregistrer ensemble mon prochain album, il y aura aussi un chœur gospel dessus qui vient du Canada, The Sisters Rosada Tharp (ndlr : ça c’est du scoop !). Mais pour en revenir sur Arcade Fire, je n’avais aucune idée de leur popularité, alors ma fille m’a dit . C’est un cercle plutôt marrant : père, fille, business… ma fille voit cela d’un point de vue adolescent, de mon côté c’est différent. On aime bien tout les deux Bright Eyes, ce gosse, Conor je sais pas quoi, il a une voix marrante et plutôt de bonnes chansons. C’est sympa à écouter.

Plutôt dépressif…

En quelque sorte, mais je n’ai écouté que deux ou trois chansons. L’une d’entre elles était très longue, environ 10 minutes, et j’aimais bien l’histoire.

Tu as travaillé avec beaucoup de femmes au cours de ta carrière. Qu’est-ce que tu aimes chez elles ?

Et bien… c’est du sexe sans danger. Du sexe sonique sans danger.

Tout se passe dans notre esprit…

Exactement ! Parce que de toute façon, le meilleur du sexe se passe dans notre tête. Lorsque tu chantes avec quelqu’un d’autre, tu t’épanouis, tu aimes cette personne d’une certaine manière. J’adore ça. Il y a tellement de chanteurs à la voix magnifique. La voix te donne le vertige, comme l’amour aussi. Quand quelque chose te donne le vertige, spécialement lorsque c’est en toi, cela devient encore plus secret, parce que ce genre d’évènement n’arrive pas aussi souvent que ça. L’amour, c’est l’une des plus belles choses qui nous est donnée sur terre.

Pourtant, avec Paula Jean Brown (ndlr : ex-femme, et ancienne membre de Giant Sand), tu avais dépassé ce simple stade de sexe sans danger.

Yeah, nous étions mariés, elle m’a offert une fille sublime. J’étais très jeune. Avec du recul, c’était supposé se finir ainsi. Il y a trois sortes d’amour : l’amour pour une femme qui est physique, ensuite l’amour que tu portes pour un enfant. Un autre sentiment incroyable. Enfin, il y aussi une sorte d’amour de l’être humain, cette relation que tu peux avoir avec quelqu’un mais avec qui tu ne franchiras jamais la limite.

Tu as aussi travaillé avec Lisa Germano au sein du projet OP8. Penses-tu retravailler avec elle dans le futur ?

Oui, c’est juste une question de circonstances… Elle vit à Los Angeles maintenant et élève ses enfants. Il y a quelques démos qui traînent, je ne sais pas si les chances sont bonnes, j’aimerai beaucoup.

Peux-tu me parler de tes prochains projets ?

En octobre, j’enregistre donc cet album avec un choeur gospel au canada. Ce ne seront pas essentiellement que des chansons, mais c’est tellement magnifique. C’est tout ce que je sais pour le moment. Peut-être que j’en profiterai pour enregistrer d’autres chansons. Jeremy (Gara) est un bon batteur. Il y a deux jours, j’ai aussi enregistré en Autriche avec des musiciens du coin. J’essaierai de le faire aussi en France, un jour, j’ai des amis ici. L’Italie et la Sicile me bottent aussi.

Tu aimerais y enregistrer avec des musiciens traditionnels ?

Non. Pour moi, tout est tradition. La tradition, c’est quelque chose d’usurpé, elle est de partout. C’est juste une question de parfum.

Pour conclure, peux-tu me donner tes cinq albums préférés du moment ?

En ce moment, j’écoute Blonde on Blonde de Bob Dylan. Scout Niblett également. Thelonious Monk, n’importe quoi de Thelonious. Et puis ce chœur gospel canadien avec qui je vais enregister Sisters Rosada of Park. Et puis rajoute Blonde on Blonde encore une fois pour terminer ma liste…

Merci à Marie…

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