Plus pop et âmbitieux, le doux distrait parisien franchit les obstacles du premier second album avec un certain talent.


Someday we will foresee obstacles est le second album de Syd Matters, lauréat du premier concours CQFD des Inrocks. On l’avoue, ces concours – même si celui-ci reste au demeurant plus crédible que les autres – laissent germer en moi des a priori sur la fiabilité d’un tel procédé. Quel est l’intérêt d’instaurer une compétition musicale ? Les labels et majors feraient-ils mal leur boulot ? Un autre point est levé : si Nick Drake, Guided By Voices ou Mark Linkous avaient envoyé leur démo à ces concours, figureraient-ils en tête du podium, élus sous le seau d’une majorité. Permettez-moi d’en douter… De mémoire, la renommée de labels d’exception comme Factory, Rough Trade ou récemment Anticon s’est toujours distinguée par des prises de risques, alors pourquoi solliciter un vainqueur de masse ? En dépit de ce point de vu personnel, Syd Matters est tout de même l’exception qui confirme la règle.

Personnellement d’abord peu réceptif pour les raisons évoquées ci-dessus, on a été poussé par certains proches à aller le voir en concert, car c’était vachement bien. Effectivement, on ne le regretta pas. Et puis il y a une agréable surprise, A whisper and a sigh, disque remarquable, dont la qualité de longévité demeure encore aujourd’hui. Sorti discrètement à l’automne 2003, la renommée s’est petit à petit répandue dans l’hexagone pour s’écouler jusqu’ici à 15 000 exemplaires. Seulement 15 000 exemplaires me direz-vous ? Oui, mais tout est relatif : c’est peu pour un chanteur français, mais c’est beaucoup pour un musicien français qui chante en anglais. Et oui, c’est toute l’ironie de l’exception française, comme on dit…

Le visage de Syd Matters est le reflet de sa musique : une bouille ronde, dessinée autour de traits fins et puis ce regard, apaisé, qui a l’étrange vertu de vous détendre. Comme tout les grands rêveurs, Syd Matters nous quitte parfois pour rejoindre son propre monde logé dans un coin de sa tête : un p’tit village dans les nuages, où les voisins se nommeraient Robert Wyatt, Gorky’s Zygotic Mynci et Pink Floyd. Dans cette petite communauté Zen, l’essentiel des taches de la journée est essentiellement constitué de sommeil et contemplation. Les humeurs noires sont bien sûr tolérées, mais les coeurs sont tellement cotonneux que ce spleen n’est jamais douloureux. Et puis le vent balaye tout nuage gris à l’horizon.

Someday we will foresee obstacles continue de peaufiner ce voyage nébuleux. Enregistré avec les musiciens de tournée, le timide semble s’être depuis un peu émancipé. Plus long que le précédent (13 titres, dont un caché), il souffle sur ce second album une brise épique. Désormais accompagné d’une entité de groupe solide, il transporte ses compositions vers un stade olympien, plus frontal, sans pour autant dénaturer le pouvoir de chimère qui caractérisait tant A whisper and a sigh. Enregistré et mixé par Yann Arnaud (Air, Sébastien Schuller, Cocosuma), les passages distraits du premier album ont été floutés, pour se muer vers une musique plus imposante. Au final, le caractère distrait et contemplatif du premier album a évolué vers des compositions vaguement plus pop.

On démarre délicatement, bercé par des cordes en nylon provenant d’une « lune rose ». L’effet est saisissant. Même si le premier titre est une très belle parenthèse acoustique, on ne saisit que l’ampleur du travail accompli à partir du céleste « Obstacles ». Là, Syd Matters joue des coudes avec la poésie baroque d’un Mercury Rev : une mélodie parfaite, appuyée par des choeurs qui semblent élever tout ceci en direction des cieux.

Parmi les petits détails, on remarque désormais une section rythmique, toujours discrète il est vrai, mais greffant une cohésion plus pop (notamment sur le très floydien “English Way”, single potentiel). Cela se ressent d’autant plus fortement sur “Someday Sometimes” et “Watcher”, qui jouent des coudes avec la bande à Thom Yorke, le falsetto se rapprochant même assez souvent du leader tourmenté. Mais la musique de Matters s’en dégage par cette précieuse innocence que l’on retrouve chez peu de musiciens contemporains, à l’exception des magnifiques Gorky’s Zygotic Mynci. Il y a d’ailleurs Euro Childs qui vient poser sa voix sur un morceau, “I Care”.

On mentionnera également le titre caché, une envolée épique et malsaine à la Virgin Suicide. Matters y est pour la première fois en colère, une guitare saturée part dans un solo nauséeux et puis des choeurs mystiques rattrapent soudainement ce paysage de désolation. Une option intéressante à prendre pour le futur.

Avec d’autres comme Hermann Dune, Acetate Zero, Sebastien Schuller ou M83, on ne remerciera jamais assez à Syd Matters de cultiver sa singularité en dépit des quotas tricolores. Syd Matters est en paix avec lui-même, et cela se ressent effrontément dans ses disques.

Le site officiel de Syd Matters

-Ecouter en streaming « Obstacles » et « To all of You »

-Lire notre entretien avec Syd Matters (mars 2004)