Nouvelle venue sur la scène folk, pourtant remarquée et défendue dès 1999 par le regretté John Peel, Caroline Martin voit enfin son premier album distribué : elle nous dévoile en douceur des chansons magnifiques et effrayantes qui font froid dans le dos.


Caroline Martin est une jeune femme originaire de Bristol. Avons-nous entendu une voix aussi bouleversante venue de ces terres froides depuis celle de Beth Gibbons ? Pas Sûr ! Caroline Martin chante du folk minimaliste, souvent seule avec sa guitare ou accompagnée, discrètement, d’une batterie, d’un violoncelle ou d’un piano, à l’instar de Chan Marshall (Cat Power).

L’histoire de la folk-music (qui reste encore à écrire) est remplie de ces douloureuses confessions, de ces bribes de vie torturée qui en disent souvent plus long sur notre propre vie que tous ces épanchements télévisuels censés nous concerner. Les chansons fragiles de Martin dévoilent une vie déchirée, une enfance encore pesante et pas totalement assumée, un rapport au masculin pour le moins problématique et conflictuel. Le ton est apaisé, la voix douce, parfois proche du murmure, mais les mots, amères, tailladent la chair dérobée et sont autant de coups de couteau portés sur toutes ces ombres qui hantent un passé indélébile.
Les six cordes ici servent autant à mettre en son l’existence, confessée entre les lignes, d’une jeune femme déjà cabossée par la vie, qu’à se venger en strangulant, fut-ce d’une manière imaginaire, tous ces « Beautiful Boy » de malheur. Le trouble naît d’ailleurs souvent chez l’auditeur de ce sidérant contraste : plutôt que d’être hurlée, la douleur est susurrée avec un calme véritablement terrifiant. Subtile intelligence qui évite de fait aux chansons de sombrer dans la fièvre sordide ou la complaisance nombriliste, et leur confère une justesse, un sens de la beauté dépravée rarement atteint nous semble-t-il (le pendant masculin Smog réussit également très bien cette délicate prouesse).

Véritable document discographique où le vital (la nécessité de se dire) se conjugue au trivial (le besoin de tout dire), cet album (comme tous les premiers grands disques) est précieux en ce qu’il rend compte des atermoiements, des doutes, des fêlures et des envolées non contrôlées d’une artiste en devenir. Jouant avec le feu comme une salle gosse qui endosserait l’habit par trop facile de la victime, Caroline Martin prend le risque de déplaire, de se tromper. Elle ne se préserve en rien et cette passe de l’intériorité à la réalité des mots chantés appelle une part appréciable d’incertitude, de peur tremblée. On aura compris que l’on est ici aux antipodes d’un folk formaté et prévisible de pleureurs qui s’escriment à rejouer une chanson perdue, bégaiement sans fin ou misérable filon.
Espérons à présent que ce chant sincère et déjà précieux résonnera loin (de Bristol).

-Le site de Smalldog