Sorti aux Etats-Unis au début de l’année, The Lonesome Sea ne verra probablement jamais le jour en France. Et c’est fort dommage au regard des pépites qu’il contient, ciselées dans les mêmes matériaux folk-rock-électriques que ceux de Neil Young, des Byrds et des Sonic Youth réunis.


Si l’on peut juger de la grandeur d’un artiste au nombre de vocations qu’il aura engendrées alors, assurément, Neil Young est un immense musicien. Ce dernier se reposant à présent sur ses lauriers, bon nombre de rejetons plus ou moins légitimes lui ont depuis emboîté le pas, au risque de voir leur héritage transformé en fardeau bien trop lourd à porter pour eux. Osons alors ici une petite polémique : pour un T.W. Walsh (on ne s’est toujours pas lassés de son magnifique Blue Laws sorti en 2001) ou un Tony Dekker (Great Lake Swimmers) combien de plagiaires suffisants, d’épigones ennuyeux ? Il s’agit moins ici de mettre dos à dos la bonne et la mauvaise graine de musicien ou de pointer, d’un doigt accusateur, les qualités ou défauts des uns et des autres, que de regretter le mimétisme nostalgique et cossard dont font preuve certains, lequel rend la plupart du temps caduques leurs velléités artistiques.

S’il n’échappe pas toujours à ce redoutable écueil, Wayne Robbins, accompagné de son excellent groupe The Hellsayers, a compris néanmoins, à l’instar de My Morning Jacket ou de Wilco (la formation de Jeff Tweedy restant toutefois, à bien des égards, nettement plus originale), que le meilleur moyen de prolonger l’oeuvre de maîtres vénérés consistait à monter sur leurs épaules afin de regarder en avant. Et comme il se trouve que celles de Neil Young sont plutôt bien charpentées, il s’est permis pour se faire de convoquer deux autres références de choix qui sont comme autant de marches musicales rendant plus accessible son ambitieux dessein : les Byrds et les Sonic Youth.

L’ouverture de l’album, “Time Is a Bird in Your Eyes”, évoque ainsi The Notorious Byrd Brothers des premiers, et certains dérapages bruitistes à la fin de la plupart des morceaux rappellent quant à eux les dérives soniques des seconds. Tout le talent de Robbins réside alors dans l’ingestion et la digestion de ces influences encombrantes, parsemées ici ou là à l’intérieur des morceaux avec un réel savoir-faire, et relues à l’aune de perspectives plus contemporaines. Malgré leur évidence, elles réussissent ainsi à être incorporées à un style phagocytaire qui voit par ailleurs le primat accordé aux guitares et aux sons qu’elles délivrent.

Rugissantes ou (faussement) apaisées, elles sont les poumons de l’album, son centre vital, le catalyseur d’aspirations mystiques et de mélodies simples mais efficaces. Voici une musique qui tangue, balance, tourbillonne au grès de riffs inspirés qui la propulsent bien au-delà des rives attendues (et finalement entendues). Pas moins de trois guitaristes (plus un batteur et un basiste) composent cet équipage de baroudeurs patentés faisant fi de toutes les turbulences avec un panache épatant et une attention louable aux textures sonores. Qu’elles tissent une ambiance sourde ou qu’elles vocifèrent, ces guitares libèrent de l’espace, créent de la durée (trois titres dépassent allégrement les six minutes), tirent de tous bords des morceaux qu’elles font agréablement dériver vers un ailleurs somme toute plus périlleux. Elément déterminant, cerise sur le gâteau qui fait de The Lonesome Sea un album très fréquentable.

-Le site officiel de Wayne Robbins