Les Deftones en veilleuse, Chino Moreno sort – enfin – son projet sans cesse repoussé. Reculer pour mieux sauter? Cela ne fait aucun doute.


Les groupes aux frontmen talentueux voient toujours in fine leurs fers de lance vaquer à des occupations en solitaire, en y prenant du plaisir qui plus est… On pourrait tirer ce genre de conclusions vu le nombre d’exemples qui pullulent dans l’histoire du rock contemporain… Rien qu’en 2004/2005, on pourrait ainsi qualifier le side-poject de Chino Moreno tout comme ceux, à titre d’exemple, des chanteurs de Silverchair ou des Sneaker Pimps, de terre fertile, de terrain de liberté à même d’assouvir toutes les envies tuées dans l’oeuf du collectif dans lequel ils évoluent. Ce qui n’était qu’un passe-temps devient alors une raison de vivre, une condition sine qua non, un défouloir, voire une thérapie réparatrice…. Le danger réside là : si on prend goût à cette liberté, si cela met du baume au coeur, le projet alternatif risque bel et bien de prendre la place de la formation maîtresse. Comme les deux autres exemples repris ci-dessus, et comme beaucoup d’autres (à commencer par Mike Patton), on sent dans ces « à-côté » un plaisir inouï. On en vient à en redemander, ce qui augure de la qualité de ces groupes hobbies, joujoux de ces chanteurs chéris par tant de fans. Ce dernier point donne à leur travail, alternatif s’il en est, une aura surdimensionnée. Si ça peut ouvrir l’esprit et les sens de certains, il y a lieu de se réjouir.

Voici donc un album qui a fait couler pas mal d’encre, à commencer dans les forums des fans des Deftones. Team Sleep est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, sa composition : le chanteur et guitariste des Deftones, Chino Moreno, son ami le guitariste Tom Wilkinson, le turntablist et spécialiste des boîtes à rythmes DJ Crook, le bassiste Rock Verret (Tinfed) et enfin le batteur Zach Hill (Hella). Pour la petite histoire, ce projet existe depuis 1994 et ce qui n’était à la base qu’un hobby amical entre les deux premiers, bientôt rejoints par le troisième, s’amusant à enregistrer des cassettes pour le fun, deviendra par la force des choses un véritable projet artistique. Ce n’est pas avant 2001 cependant que ces camarades de récréation pensent sortir de manière confidentielle un album et s’appeler Team Sleep. L’échange ludique de cassettes où chacun vient ajouter son grain de sel fera le reste : donner envie d’enregistrer carrément un album (l’appétit vient en mangeant). La première démo sera exclusivement composée de titres instrumentaux – « Staring at the Queen » par exemple, en faisait partie – (avec le batteur des Deftones, et le producteur « lourd », Terry Date).

Par la suite, grâce notamment à Mary Timony, le vocal viendra se greffer à ces moutures. C’est ensuite une malencontreuse fuite radiophonique qui va mettre le feu aux poudres. On imagine la ferveur qu’un side-project, même bancal, peut susciter chez les fans des Deftones… C’est alors que Chino Moreno, mécontent que des enregistrements – bricolés, en tout cas pas « finis » – soient ainsi diffusés par les radios, et quelque part piqué dans son égo, va décider de mettre les bouchées doubles et de sortir la chose convenablement, quitte à y poser sa voix (ce qui, à l’origine, n’était pas prévu). Pour se faire, il n’hésitera pas non plus à égrainer son carnet d’adresses de collaborateurs possibles : De Melissa auf der Maur en passant par l’incontournable Mike Patton (qui n’ont finalement pas été retenus), c’est Rob Crow (Pinback), et Mary Timony (Helium) qui figureront finalement et seulement sur la guest list. Last but not least, la participation de Team Sleep à la bande sonore de Matrix Reloaded (« The Passportal ») fera office de buzz marketing, tout en laissant des traces au niveau créatif. En effet, la chape cinématographique est ostentatoire ici.

Le procédé est simple, et découle d’une liberté d’action et de créativité totale. On privilégie la voix de Moreno (qui s’en explique par le fait que dans les Deftones il ne peut que gueuler – ce qui est dommage vu ses capacités), une batterie mise en avant (véritable ou en forme de drum loop émanant d’une boîte à rythmes), une basse tonitruante à faire trembler, voire casser, vos vitres et celles de vos voisins, et enfin quelques nappes de synthé et quelques notes de piano pour donner à l’ensemble une grâce étonnante. Une certaine ambiance aussi. Le tout – emballer c’est peser – par une production nickel, où chaque timbale vibre comme si vous étiez assis vous-mêmes sur le tabouret, munis de vos baguettes. Enfin, des riffs de guitare sont là pour rappeler qu’on ne se refait pas entièrement (The Deftones se cachent derrière « Your skull is red » ou « Princeton review »), et que le gros son d’un mur de guitare peut aussi rimer avec beauté. Tous ces ingrédients donnent aux titres un je-ne-sais-quoi de majestueux et de puissance qui font que l’on écoute l’album en boucle, sans jamais s’en lasser.

Il est indéniable que l’apport de Rob Crow a été capital. On pense plusieurs fois à Pinback, cela ne fait aucun doute. Sa voix très douce et son sens de la mélodie ont réellement apporté un plus. Ses chansons, à commencer par « Elisabeth » ou « 11/11 » (il y en a quatre en tout), sont d’une beauté incandescente. On aura également un – gros, très gros – faible pour le titre chanté par Mary Timony, le mélodramatique « Tomb of Liegia » autant pour la voix de la belle (enfin, c’est ainsi qu’on l’imagine), que pour la gravité des paroles (inspirées d’une nouvelle d’Edgar Poe) : « In 1969, I killed a man of mine, in a small Montana town, I was hunted down by hunds« . Attentif au moindre détail, on n’a pas hésité à coller des boucles d’applaudissements en écho à « hear the crowd cheer« .

Le sentiment final que laisse le disque est à rapprocher de Thirteenth Step de A Perfect Circle. Et puis, enfin, il y a le contenant aux très belles pochettes, annonciatrices du contenu : c’est assez rare pour être souligné. Mais qui est cette femme? Mystère…

Le site de Teamsleep
Le site du label Maverick consacré à Team Sleep