Ce premier album d’un violoniste entendu chez The Arcade Fire, convoque humour et gravité, merveilleux et confession intime déguisée, minimalisme et grandeur, avec un talent confondant.


Drôle de type que cet extraverti canadien Owen Pallett. Membre quasi unique de Final Fantasy (juste épaulé aux machines sur certains titres par Leon Taheny, et par la voix d’un ange sur “Learn To Keep Your Mouth Shut Owen Pallett”), ce passionné de culture japonaise avoue avoir emprunté ce patronyme au célèbre jeu vidéo (le contraire eut été tout de même difficile à entendre), mais témoigne de son peu d’intérêt en la matière (faut-il le croire ?), se déclarant beaucoup trop impatient pour s’abîmer les yeux devant un écran. Première fausse piste ? Pas tout à fait. Has A Good Home valorise une inspiration volontiers extravagante et reflète une imagination qui, sans se départir du souci de la réalité, vagabonde aussi au gré de désirs plus imprévisibles, ouvrant par moments les portes du fantastique. C’est que cette musique est surtout affaire de sensibilité, d’une acuité extrême. Et la sensibilité n’a que faire de la réalité, elle la plie à son propre principe de réalité, que la raison, parfois, ignore. Final Fantasy est bien un jeu, non de dupes, mais plutôt de rôles (Pallett les affectionne particulièrement), où la vie est appréhendée de biais, éprouvée dans l’énergie du rire (en coin). Sous le masque se cache un jeune musicien préoccupé qui se rêve autre dans une société plus altruiste, mais qui soumis à l’épreuve du temps et à la dure loi du mensonge (capitaliste et médiatique), découvre que l’Ailleurs n’est jamais qu’une alternative biaisée de l’Ici. Dans les interstices de Has A Good Home, le monde réel se dérobe aux fantasmes de l’innocence et finit tôt ou tard par compter ses morts (ceux en l’occurrence de “The CN Tower Belongs to the Dead”).

Deuxième fausse piste : en lieu et place d’un songwriting classique et timoré, auquel le relatif minimalisme de l’album pourrait renvoyer, Pallett, à l’instar d’Andrew Bird (auquel on pense forcément), affiche en virtuose une haute ambition, fait montre d’un souci constant de grandeur, s’attache à apposer sur ses morceaux nus les charmes élégants d’une perception en couleurs de la musique. Centré essentiellement sur son majestueux organe vocal et son instrument de prédilection, le violon (bien que Pallett ait été à l’origine pianiste, et pratique aussi la guitare), Has A Good Home propose un mélange de vues, que la pauvreté apparente de la production rend d’autant plus éclatant. C’est le cas notamment du beau “That’s When the Audience Died”, dont le prologue composé de simples boucles de violon s’ouvre par la suite aux arpèges d’une guitare (on peine à croire en effet qu’ils soient délivrés par un violon), lesquels infléchissent le cours du morceau au profit d’un mariage admirable de circonvolutions de cordes aériennes d’un tout autre acabit. Petite musique de chambre qui emporte dans son mouvement intense et panoramique la modestie de circonstance vers un lyrisme au bord de l’emphase.

De même, la voix de Pallett élève vers des hauteurs insoupçonnées “Better Than Worse”, un morceau d’abord introduit par un rythme binaire et répétitif, le tout étant bientôt relayé par différents timbres de violons qui viennent soudainement faire graviter les notes dans des sphères plus rayonnantes. Dans ces meilleurs moments, Has A Good Home obéit à des emportements fugaces et inspirés, à des flux incontrôlables de sonorités, reflets d’une écriture jubilatoire et spontanée. Capable de proposer sur scène une reprise étonnante du “Peach Plum Pear” de Joanna Newsom, ce canadien semble cultiver l’effet de surprise, et pourfendre l’idée même de norme. Sa collaboration avec des groupes aussi divers et originaux que peuvent l’être The Arcade Fire, The Hidden Cameras, ou Les Mouches a contribué sans aucun doute à façonner une telle identité musicale. Sans s’absenter de lui, Owen Pallett glane les perturbations du monde (musical ou non) qui l’entoure, et génère un univers personnel et ludique dans lequel il se fond sans complexe. Ce premier coup de maître devrait être suivi très bientôt d’un autre album plus conceptuel, et il y a fort à parier que cette nouvelle piste empruntée sera tout aussi bonne.

Le site officiel de Final Fantasy.