Disque cathartique, Monsters in love, dessine les contours d’un visage inédit de Dionysos. Plus extravagants que jamais, les français montrent que le rock devrait être laissé aux seules âmes rêveuses d’un monde féerique.


En septembre 2004, Dionysos passe plusieurs semaines en résidence à Meknès suite à l’invitation de Pierre Raynaud, directeur du théâtre de l’Institut français du Maroc. Libéré des contraintes temporelles et spatiales, le groupe teste ses maquettes avec toutes les extravagances et expérimentations les plus saugrenues qui lui viennent en tête. Conçues comme autant de digressions soniques possibles, les démos contiennent déjà, bien qu’à l’état brut, une profondeur teintée d’insouciance qui orne depuis leurs débuts l’âme des français. Bercée entre un univers folk et une énergie toute droite venue du punk-rock, la musique des Dionysos s’appuie aujourd’hui sur des instruments singuliers comme l’ukulélé voire la scie musicale ou des scratches empruntés au hip hop. C’est tout l’art de faire cohabiter dans un même monde des directions musicales antagonistes.

Monsters in love est un essai cathartique qui se nourrit de différentes cultures. Après l’escapade marocaine, la troupe prit la direction de Bath en Angleterre pour peaufiner les compositions de ce nouvel album studio dont la production fut laissée aux mains expertes de John Parish. Succédant à l’américain Steve Albini, l’anglais pourtant moins habile que son prédécesseur dans l’art du son rêche a su saisir l’énergie et la finesse des arrangements en jetant les bases d’une structure rock entourée de cuivres et de cordes. Ajoutez à cela une structure narrative exubérante, l’auditeur devrait à coup sûr soulever la terre avec son petit doigt vissé à la mer comme le dit si bien la dernière chanson « Neige ».

Entre désordre et gravité, ce cinquième album porte le thème de l’absence à bras le corps. Les musiciens n’ont pas peur de se dévoiler, d’exposer leurs moments de doute, de désespoir. Terrain de contrastes, ce disque passe des rires aux larmes. Les mots étonnants de solennité sont emportés par une instrumentation pleine d’ardeur qui donne à l’album une puissance rarement atteinte. Sorti de son imaginaire ou de l’univers fantasmagorique de ses auteurs préférés comme le bdiste Edward Gorey, les textes de Mathias Malzieu sont d’étranges histoires construites pour devenir des échappatoires à la vie. Touché par la mort de sa mère, le chanteur dût s’isoler quelques temps dans l’écriture pour se reconstruire. En contant l’aventure d’un géant, une sorte de cousin de celui créé par la troupe nantaise Le Royal De Luxe, qui pour vaincre la mort distribue soit des bouts de son ombre soit des livres. L’enfant qui sommeille en nous retrouvera le goût de la vie et des rêves. Ce roman intitulé Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi, faisant suite au recueil de nouvelles 38 mini westerns sorti en 2003, est en quelque sorte le livret du disque Monsters in love.

Ainsi, des titres comme « Tes lacets sont des fées » ou « La métamorphose de Mister Chat » rappelle l’univers de Joann Sfar (Petit Vampire, Le Chat du Rabbin…) qui signe d’ailleurs une nouvelle fois les illustrations du disque. Entre burlesque et tragique, la poésie est malmenée. Débarrassée de son côté mélancolique, elle évite ainsi un chantage à l’émotion pour mieux se concentrer sur les déflagrations soniques subies par les assauts des musiciens.

Ballottés de l’onirique au réel, nous sommes en perpétuelle mutation. On passe d’un calme apparent à une furie communicative sur la plupart des chansons de l’album. « Old child » et sa rythmique soutenue façon Kills résume à lui seul cet enthousiasme rock.

Première dans la carrière des valentinois, « Le Retour de Bloody Betty » s’arme d’un discours politique, juste soutenu pour ne pas être taxé de donneur de leçons ou démagogue autour d’une situation irakienne actuelle aux prises avec ses «bons et méchants» ambassadeurs de dieu.

Notons que pour les passionnés il existe une version enrichie de Monsters in love avec un support DVD bien fourni. Regorgeant de bonus en veux-tu en voilà, un documentaire sur la genèse du disque et le concert de 2004 capté à Saint Malo chez nos amis de La Route du Rock complète cette édition opulente.

– Mathias Malzieu Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi (Flammarion)

-Le site de Dionysos