Sur ce cinquième opus des déserteurs britons, Neil Halstead chamboule ses mélodies alanguies et leur insuffle une claque power pop irrésistible. Toujours pas de désert créatif à l’horizon.


C’est avec trépidation qu’on attendait ce nouveau chapitre des aventures de Neil Halstead et ses fidèles compagnons. Mojave 3, ce nom n’évoque pas grand-chose pour la majorité, et pourtant au détour d’une pub pour parfum à la télévision, vous les avez certainement entendus (de nos jours on peut pratiquement s’instruire avec les pubs de parfum aka This Mortal Coil, Goldfrapp, Elysian Fields…).
Secret bien gardé du Royaume-Uni, Mojave 3 galvanise depuis plus d’une décennie une solide poignée d’adorateurs avec sa country-pop profondément dense et éthérée, héritée de shoegazin’ Slowdive.

Absent des bacs à disques depuis 2004, le groupe opère avec ce cinquième opus une mini révolution. Après 10 années de dérives americana voluptueuses et sans anicroches, Neil Halstead accélère le tempo. Cet emballement du métronome sur Puzzles Like you confirme le tournant pop opéré depuis l’ambitieux Spoon and rafter (2004). Spoon & Rafter s’ouvrait sur le mémorable “Bluebird of Happiness”, une flânerie épique après laquelle court toujours Mercury Rev depuis son insurpassable Deserter’s Song. C’est dire le choc lorsque, dès “Truck Driving Man”, un riff de guitare shuffle, dans la pure tradition Chuck Berry, nous introduit dans l’album ! Pris de court, on a frisé la crise cardiaque. Cette fameuse montée de fièvre rock’n’roll, doublée au piano, trahit en fait une percée en force power pop. Dès le refrain « Hearts on fire… », une mélodie vibrante glisse dans nos veines et nous réconcilie illico. Redoutable tiercé gagnant, les séries de croches “Puzzles Like You” et le single “Breaking The Ice” continuent dans ce formidable élan fougueux. Loin d’être de simples caprices ou exercices de style, cette réincarnation pop respire l’innocence et l’intemporalité (le très psychédélique “Kill The Lights”, ou encore “Ghostship Waiting”). On se surprend à user ces chansons depuis un bon mois et demi sans qu’aucune lassitude ne se profile.

Le groupe le plus paisible de l’écurie 4AD n’a pas pour autant délaissé ses penchants au vague à l’âme pastoral et ses obsessions alt/country atmosphériques. Les éternelles émanations lap steel de Melvin Duffy sont l’assurance d’un retour aux terroirs contemplatifs de l’americana, comme sur le dépouillé “Most Days” ou “Big Star Baby” (hommage à l’étoile filante d’Alex Chilton ?). Et puis, il serait impardonnable de ne pas souligner l’apport essentiel de la sainte Rachel Goswell (magnificat ?), double vocal de Neil Halstead présente depuis les premiers jours. Seule ombre au tableau, nous n’aurons plus la chance de croiser la belle rousse sur scène, qui a décidé de ne plus accompagner le groupe en tournée pour des raisons de santé. Snif…

Il faut se rendre à l’évidence, Mojave 3 n’a jamais aligné une brochette de chansons aussi solides. Déjà fier détenteur d’une discographie à l’élégance et l’écriture limpide – depuis les instropections Cohennienne d’Ask me Tomorrow, jusqu’aux mélodies puissantes de Souvlaki, en passant par l’electro hermétique de Pygmalion -, Neil Halstead nous prouve qu’il sait tout faire. Il vient à nouveau de se réinventer avec panache. Le futur s’annonce radieux.

– Lire également notre entretien avec Neil Halstead réalisé pour Spoon & rafter (2004)