Notre sang n’a fait qu’un tour lorsque la nouvelle est tombée dans notre boîte courriel : les cultissimes frères Head, qui se terrent le reste de l’année dans leur tanière de Liverpool, sont de sortie sur la capitale britannique pour une date unique. Et comme le dit si bien le vieil adage, « puisqu’ils ne viennent pas à nous, nous irons à eux ».

Un billet Eurostar commandé pour un aller/retour « flash éclair » et nous voilà propulsés moins de deux heures après notre arrivée gare de Waterloo devant la salle de l’University of London Union. Situé en plein milieu du quartier des facs sur Russel Square, l’endroit de taille moyenne est investi par une foule plutôt hétéroclite, entre quarantenaires qui n’ont pas lâché l’affaire, étudiants au profil littéraire et une grosse portion d’exilés du Nord en mal du pays venus humecter la brume du Merseyside. On s’étonne un peu d’ailleurs de constater à quel point l’identité Liverpudlian que véhicule le groupe auprès de son public est forte. Mais voilà quelques subtilités anglaises qu’un pauvre français fan de musique ne peut pas percevoir.

On sirote tranquillement un cidre en bonne compagnie dans la cafétéria qui jouxte la salle, lorsque Shack fait son entrée en scène sur les accords relevés de “Black & White”. Le quatuor se présente cette fois augmenté d’un guitariste rythmique acoustique. Cerise sur le gâteau, un accompagnement raffiné constitué d’une flûte traversière et d’une trompette vient épisodiquement compléter le répertoire. Le son qui sort des amplis, noyé dans un flanger excessif, nous ramène à l’époque arrogante des années 80 où les formations du Nord régnaient sur l’Angleterre sans partage (Stone Roses & co). Certaines chansons pâtissent de ce parti pris, mais le son s’améliore au fil du concert.

Michael Head, qui fut le juvénile chanteur des Pale Fountains, coiffé d’un chapeau de paille, a le visage aujourd’hui enflé par les excès. On ne peut rester insensible devant cette décrépitude, mais malgré son physique courbé, il est stupéfiant de constater à quel point ses sourires lancés au public et à son groupe nous projettent l’image d’un gamin insouciant. Et puis il suffit de fermer les yeux pour que la magie opère : lorsque les harmonies vocales sont doublées par son petit frère John, la légende est intacte, elle tutoie le divin. Avec un tel trésor en leur main, ces gars devraient être millionnaires. L’aîné délaisse rapidement son acoustique (il se serait blessé la main droite deux jours auparavant) pour prendre le micro sur “Streets of Kenny”, allégé de la charge rythmique par un habile jeunot qui semble visiblement faire son baptême scénique. C’est ensuite au tour de John Head (grand pilier de la soirée) de s’accaparer le chant pour le magnifique “Butterfly”. Le guitariste opte pour le coup pour une superbe douze cordes électrique, aux aspérités byrdsiennes en diable.


Michael Head et John Head sur la scène de l'ULU, Londres, 10 décembre 2006 / photo Paul Ramone

La sélection est majoritairement constituée des albums H.M.S Fable et …The Corner of Miles and Gil, un titre et demi de Waterpistol (dont “London Town”, et une version trop brève du miraculeux “Undecided”), le trop méconnu Zilch reste le grand absent de la soirée. La fin du concert nous réserve même deux bien belles surprises, “A Kitchen Across The Table”, une vieillerie expurgée des essentiels Pale Fountains et l’intimiste “Something Like You” tiré de The Magical World of The Strands. Les titres les plus marqués par la brit pop comme “Comedy” et “Pull Together” n’on rien perdu de leur éclat, grâce à l’âme habitée, intouchée, de Michael Head. Mais c’est souvent le versant épique du groupe qui dégage le plus d’intensité, telle l’épopée grandiose “Meant To Be”, seul rescapée d’… Here’s Tom with the Weather, dont les trompettes et guitares hispaniques galvanisantes semblent instaurer une communication directement reliée au ciel avec Arthur Lee.

Entre deux pauses, Micheal Head n’hésite pas à saluer ses compatriotes et échanger quelques plaisanteries. Il provoque même l’hilarité du public lorsqu’il commence à parler face au pied de micro et réalise de manière pathétique qu’il tient le micro dans sa main… à trois reprises. Ces quelques notes d’égarement laissent planer un doute, le sentiment que tout peut dérailler d’un instant à l’autre. Hors du champ micro, Michael Head semble ailleurs et imprévisible tandis que le groupe n’est pas à l’abri de plantages lamentables : “Tie Me Down” sera recommencé trois fois, sans compter les interventions du bassiste John Wilkinson qui nous gratifiera d’un festival de fausses notes (lui-même s’en surprend avec sourire). Celui-là prend d’ailleurs en grippe un spectateur et le menace de lui jeter la basse sur la tête. Le regard assassin de John Wilkinson sur l’élément perturbateur traduira jusqu’à la fin du concert une envie dangereuse de laisser en plan le groupe pour régler ses comptes.

Ce qui se trame sur scène symbolise le destin tragique de ce groupe. C’est l’histoire d’un songwriter exceptionnel, dont le goût pour l’autodestruction et les déroutes accumulées n’ont jamais permis de lui reconnaître la gloire qu’il mérite. Mais finalement, c’est peut-être grâce à ses travers que Shack tire sa lumière.

Trakclist :

Black And White

Streets of Kenny

Cup of Tea

Beautiful

Comedy

Pull Together

Miles Apart

Tie Me Down

Undecided (reprise)

Across The Kitchen Table

X Marks The Spot

Daniella

London Town

Meant To Be

I Know You Well

Something Like You

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