Troisième album très attendu pour le groupe culte de Portland. L’occasion de réviser, entre autres, notre petit Morrissey illustré.


Il y a des albums qui suscitent l’intérêt, sinon l’impatience, avant même leur sortie. Des albums qui cristallisent nos espoirs les plus fous et sont au coeur de tous nos fantasmes musicaux.

En ce début d’année 2007, le troisième album des Shins tient la place, pas forcément enviable, de cet album ardemment attendu. Pour ne rien vous cacher, on espèrait, fébrile, voir renouvelé ce petit miracle qu’était Chutes To Narrow, leur précédent opus devenu, rapidement, culte en matière de pop intelligente et mélodique. Il suffit de se repasser Chutes to Narrow – dont, définitivement, on ne se lasse pas – pour voir défiler dix perles de pop, dont “Saint Simon” ou “So Says I” constituent les potentiels sommets. Et d’apprécier un riche héritage musical – des Beach Boys aux Smiths – restitué avec suffisamment d’intelligence pour éviter l’écueil du plagiat.

Histoires de sommeil, ou plutôt d’insomnies, tel pourrait être le sous-titre de cet album, finalement intitulé Wincing the Night Away – les Shins ayant longuement hésité avec Sleeping Lessons. James Russel Mercer est un insomniaque avéré, et tire vraisemblablement de ses nuits blanches une inspiration sans cesse renouvelée. Ce troisième album maintient en effet le niveau d’exigence des précédents opus : les Shins semblent bien incapables – et on s’en réjouit – de faire un mauvais album. Dès la première écoute, c’est une impression d’évidence, qui n’a rien à voir avec la facilité, qui se dégage de l’enchaînement des titres. “Sleeping Lessons” dresse un décor dépouillé, esquissé par un thème entêtant, presque aquatique, au clavier. Le titre prend doucement son envol, à la manière des Guillemots, l’instrumentation s’enrichissant peu à peu de guitares, nappes de clavier, pincements de cordes. Puis la batterie et la guitare, se faisant plus mordante, annoncent l’envolée, vocale cette fois, de Mercer. Suite à cette introduction en demi-teintes s’annonce le tube en puissance qu’est “Australia” : les Shins réssucitent les Smiths sans même avoir à rougir. Batterie alerte, arpèges sautillants : Mercer marche, jusque dans les textes – description d’un quotidier médiocre qu’il s’agit de transcender – sur les traces de Morrissey, l’icône d’une certaine pop dont The Shins sont sans conteste les heureux héritiers.

“Phantom Limb”, après l’ouverture bruitiste de “Pam Berry”, s’attaque à un autre monument de la pop des années 1980 : the Pale Fountains. Voix aussi claire que les accords, tambourin, choeurs discrets : l’élève Mercer a bien retenu la leçon des frères Head. “Sea Legs” s’inscrit dans la même veine, avec une rythmique plus décousue portée par une ligne de basse. Cordes, flûte, choeurs et autres fantaisies vocales confirment leur goût des arrangements bien pensés. Après ces premiers titres, l’album prend la direction d’une pop moins évidente, à quelques exceptions près (“Girl Sailor”, “Turn On Me”). “Red Rabbits” rappelle en écho l’ouverture épurée de “Sleeping Lessons”, tout en miroitements sonores, tandis que “Black Wave” ou “A Comet Appears” apportent une touche folk, résolument contemplative. Les arpèges métalliques de “Split Needles” tracent une parenté insoupçonnée entre le groupe de Portland et leurs cousins de San Diego, Pinback. Bruitages, bandes passées à l’envers, sonorités dissonnantes rappellent que les membres de The Shins sont autant influencés par les Smiths que par les atmosphères psychédéliques de Pink Floyd.

L’irruption de cette dimension plus expérimentale ou plus intimiste – comme sur la ballade “A Comet Appears” qui clôt l’album – peut sans doute rebuter, sinon décevoir, les fans transis. Les premières écoutes peuvent même laisser un goût de trop peu. Mais pour tous ceux qui parviennent à dépasser cette étrange sensation, Wincing The Night Away vaut vraiment le détour : un détour passionnant sur l’autoroute de la pop.

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– Lire également notre entretien avec les Shins (juillet 2004)