Ils ne sont pas nombreux l’année dernière ceux à s’être penchés sur Offshore, mais ces oreilles averties n’en sont toujours pas revenues. Early Day Miners a accouché d’un disque monstre aux confins du post-rock et du slow core, transpersé de guitares atmosphériques noires à la mélancolie insondable. Cette formation incroyablement sous-exposée du label Secretly Canadian méritait d’être mise en lumière.


Daniel Burton est un homme souriant. Tellement souriant que Pascal, notre intrépide photographe, lui demandera de raidir son visage derrière l’objectif. Imaginez l’instigateur d’Offshore, l’un des disques de rock les plus singuliers de l’année 2006, poser dans cet article avec un air benêt. Non, ce n’est pas envisageable. Daniel Burton est un garçon ouvert, qui aime parler de la France, de ses rencontres, de son job « alimentaire » (il est barman) et de sa musique évidemment. Honnête, il ne cache pas non plus sa passion pour U2, mais s’avère aussi un véritable érudit en musique. L’entretien a lieu dans un bar qui jouxte la salle activiste de la Flèche d’or, dans le XXe arrondissement parisien. Il est 21h, le groupe rentre sur scène à 23 h 30. La conversation durera une heure sans interruption. Le compte à rebours commence.

Daniel Burton : J’ai un job de barman la nuit à Bloomington, la ville où nous vivons avec ma femme. J’aime ce genre de communication que tu établis avec les personnes dans les bars, les cafés… J’apprécie ce travail car je suis une personne très sociable. Je pense que c’est aussi une des raisons qui explique que j’aime tant partir en tournée, rencontrer des gens, voir différentes cultures…

Pinkushion : C’est plutôt marrant car ta musique est intime et sombre, aux antipodes de la vie mouvementée d’un barman de nuit…

Oui, c’est vrai. Tu pourrais t’attendre à ce que je joue avec les B 52’s (rires).

Un peu oui !

Je ne sais pas, peut-être que c’est un prolongement de ma personnalité. J’apprécie d’être seul, travailler ma musique durant des heures à l’écart. Je pense que c’est une sorte d’échappatoire, le fait d’aller ensuite dans un bar ou un café pour rencontrer des amis. Cela me recharge et me permet de retourner seul à nouveau (rires).

Il y a-t-il une scène dans ton bar ?

En fait, ce n’est pas mon bar, j’y travaille seulement. Avec ma femme (qui travaille chez Secretly Canadian) on a comme projet d’acheter un bar. Bloomington est une grande ville étudiante, c’est là aussi que sont les bureaux du label Secretly Canadian. C’est une ville où les musiciens s’entraident, nous sommes une petite communauté. Par exemple, un ami qui m’accompagne sur la tournée actuelle travaille dans un magasin de disques local. Tout le monde fait en sorte de rendre la qualité de vie meilleure. Je pense que ma contribution personnelle sera d’acheter un bar et aider les musiciens à s’y produire (sourire).

Te souviens-tu de ton dernier passage en France ?

Oui, j’étais excité à l’idée de venir jouer en France. Il semble que les concerts en France sont compliqués à organiser. Je ne sais pas, qu’en penses-tu ?

Il y a six musiciens sur scène ce soir, ce doit être plutôt compliqué à gérer en tournée.

Ce sera encore plus difficile de tenir ce soir sur scène (ndlr : en référence à la scène minuscule de la Flèche d’or). Notre set est constitué de l’intégralité d’Offshore. Parfois, nous jouons plus de chansons, j’ai quelques nouvelles compositions en réserve. Nous ne les avons pas encore enregistrées pour le prochain album, mais c’est vraiment agréable de les jouer (en effet, le dernier morceau, excellent, se veut plus relevé). Parallèlement, durant le concert, nous projetons un film réalisé par un ami qui s’est inspiré de l’album. On installe un drap blanc derrière la scène et le tour est joué (sourire).

Intéressant. Idaho projetait aussi des vidéos durant ces concerts, réalisées pour la plupart par Jeff Martin lui-même. Votre musique possède d’ailleurs des similitudes dans votre emploi des guitares.

J’étais un grand fan d’Idaho. Je n’ai rien entendu d’eux récemment, mais j’avais vraiment adoré Three Sheets To The Wind à sa sortie. Je sais qu’ils ont sorti un nouvel album récemment.

Oui, ils ont sorti un album en 2005, les compositions sont dorénavant plus centrées sur le piano. Je vois d’ailleurs beaucoup de similitudes entre vos deux groupes au niveau du traitement des guitares. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cet instrument ?

Je ne sais pas. Je n’ai qu’un album d’Idaho, que je vais certainement réécouter en rentrant à la maison. Mais j’ai toujours été intrigué par l’aspect sonique, les sons, davantage que le songwriting. Récemment, sur les deux derniers albums d’Early Day Miners, j’ai commencé à m’intéresser davantage aux chansons et à la manière d’imbriquer les deux ensemble. En ce moment, je suis vraiment excité à l’idée de créer des atmosphères, des ambiances. Lorsque j’étais gosse, j’étais fasciné par Brian Eno. Je suis fan de disques ambient, ceux de Michael Brook notamment. Il a travaillé avec Brian Eno et Daniel Lanois sur Joshua Tree de U2, un de mes disques de chevet. Je suis un très grand fan de Daniel Lanois également.
Pour moi, les musiques de film sont ce qu’il y a de mieux, car l’aspect émotionnel du film s’imbrique avec elles. Il y a tellement de films qui ne mettent pas en valeur la musique, ils ne réalisent pas à quel point celle-ci est importante. A ce sujet, Brian Eno fait un travail remarquable, il écrit de bonnes chansons mais très cinématiques. Des gens comme Michael Brook, Mark Hollis de Talk Talk, ou Lisa Germano… ont sorti un disque acoustique, mais ils sont empreints d’une atmosphère particulière, un peu comme cette salle ce soir. L’ambiance est très parisienne, du moins je le pense. A Rome à cet instant précis, tout le monde serait en train de danser dans une discothèque. (rires)

dburton1550.jpg


Est-ce que tu as un album de chevet en ce qui concerne le travail sur les guitares.

This Heat a été un groupe très important à mes yeux. C’est une formation post-punk anglaise plutôt méconnue, mais qui fut vraiment très novatrice en la matière. Leur approche du son, très originale, ne sonnait comme nulle part ailleurs. Le premier album de Windsor For The Derby m’a aussi impressionné en ce qui concerne le travail sur la réverb et les textures ambient…

J’ai l’impression d’ailleurs que Windsor for the Derby tend à s’écarter de la reverb sur ses derniers albums, ou plutôt que l’aspect ambient s’estompe pour aller vers quelque chose de plus brut.

Tu veux parler de Giving up the Ghost ? Je ne trouve pas. J’ai quelques démos du prochain album, c’est superbe. Je mixe leur prochain album chez moi à la maison et je devrais l’avoir terminé pour le mois de mars. Après, je ne sais pas quand Secretly Canadian prévoit de le sortir. Habituellement, ils aiment prendre leur temps pour sortir un disque et le promouvoir.

Offshore semble s’orienter dans la direction inverse d’All Harms end Here. Le disque est plus atmosphérique et sombre, contrairement à son prédécesseur qui se voulait plus sobre et à la mélancolie plus lumineuse.

Je sais, mais tu vois c’est intéressant, il y tellement d’opinions différentes. Beaucoup de gens n’ont pas accroché à All Harms End Here. D’autres sont tellement dans le trip rock n’roll… Pour eux, le disque sonnait trop soft et atmosphérique…. Et je suis totalement d’accord avec toi, c’est exactement ce que je ressens aussi par rapport au disque. J’ai l’impression que l’opinion vis-à-vis de notre groupe est coupée en deux.

Peux-tu nous parler un peu d’Offshore et de sa genèse qui date de 2001.

Et bien, l’idée m’est venue lorsque nous jouions le morceau “Offshore” en tournée. Tous les soirs, nous jouions le morceau différemment, la plupart sont d’ailleurs sur l’album. On improvisait pas mal dessus : un soir il pouvait devenir une ballade, un autre soir ça devenait plus rock à la manière d’une chanson de Neil Young. Et puis j’ai toujours pensé que la version enregistrée sur Let Us Garlands Bring ne lui rendait pas justice. C’est un des patrons de Secretly Canadian, Ben Sawnson, qui après l’un de nos shows, nous a suggéré de réenregistrer le morceau. Nous étions d’accord. L’idée d’origine était d’enregistrer l’album du début jusqu’à la fin en prise directe et dans une version plus fidèle à sa puissance scénique. Nous l’avons fait, et puis nous avons décidé de nous réorienter davantage comme un projet studio, parce que le sujet principal – l’ouragan, les relations personnelles… – ne pouvait se résumer à une simple expérience « live ». A tel point que si on remontait six mois en arrière, tu aurais entendu des versions totalement différentes de celles sur l’album.

Ce qu’il y a de remarquable dans cet album, c’est que chaque fin de morceau semble introduire le suivant…

Tous les morceaux sont liés entre eux, c’est un effet mélodique. A un moment, nous avons envisagé de ne pas diviser le disque en plusieurs pistes sur le CD, mais conserver les 37 minutes sur une seule piste. J’aurai souhaité dans un certain sens pouvoir le faire. Cela aurait été cool d’écouter l’ensemble d’un seul trait, car c’est ainsi que le disque est censé être écouté. Un seul souffle de musique, comme si tu regardais un film.

J’ai lu d’ailleurs que tu le considérais Offshore comme ta version director’s cut !

Exactement. Offshore est vraiment un disque personnel. C’est vraiment ce que l’on voulait faire. Ce n’est pas le genre de disque que tu peux écouter à la radio, il n’est pas non plus à la mode. Je pense en fait que c’est un disque trop honnête pour la plupart des gens. Il n’y a pas d’ambition réelle ni de plan préétabli derrière ce disque. On l’a fait dans une optique presque suicidaire : c’est le genre d’album que personne n’écoutera car il est trop étrange.

Je te trouve bien pessimiste. Il y a des disques comme Mezzanine de Massive Attack qui ont réussi à atteindre une audience conséquente.

C’est vrai. En général, j’ai tendance à sous-estimer les gens qui écoutent la musique. Lorsque je marche dans la rue aux Etats-Unis, tout ce que je vois c’est la dernière pop star, ou la dernière indie rock star. Je commence à réaliser que la mode est un facteur tellement important. (soupir). C’est typique, je peux t’en parler toute la nuit… Je ne vois pas où nous avons notre place au milieu de tout ça. En même temps, j’aime le fait de ne pas correspondre aux critères à la mode. Nous sommes un groupe étrange. La nuit dernière par exemple, des personnes sont venues nous suggérer comment nous devrions faire notre concert, différemment.

Des gens de majors ?

Oui ! (sourire) C’était une suggestion sympathique, je pense que la personne était honnête dans ses propos. Mais en même temps, l’idée proposée était tellement ridicule… Mais bon, c’est une des conditions dans l’art : il y a toujours des personnes pour critiquer ce que l’on fait. On fait la part des choses et on continue.

Venons en au fait : considères-tu Early Day Miners en tant que projet solo ou en tant qu’entité de musiciens.

Je n’aime pas l’idée de projet solo, car tout ce que je veux, c’est jouer dans un groupe. Mais le pays où je vis, l’Amérique, n’encourage pas l’art. La ville où je vis est une sorte de transit, les gens partent et viennent, c’est une ville universitaire. Je suis dans une position particulière qui me permet de faire ce que je veux. J’ai une vision très concrète du chemin que je veux prendre. Avec Early Day Miners, tout dépend de l’année : cela peut devenir un vrai groupe ou un projet solo. Pour All Harm Ends Here, il y avait un vrai esprit de groupe, des gens avec qui j’ai joué pendant deux ans. Nous étions un vrai groupe. Avec Offshore, c’est davantage un album solo, car j’ai utilisé le statut d’Early Day Miners pour arriver à mes fins. La majorité de l’album a été faite dans ma cave, chez moi. J’y ai trié et enregistré les idées, j’ai joué une grande partie des guitares. Cet album est finalement devenu une part de moi. Les gens que tu vas voir ce soir sur scène seront par contre sur le prochain album. Nous sommes six actuellement, on a fait quelques shows avec Wilco aux Etats-Unis. Venir en Europe nous revient très cher, mais le changement apporte son lot d’excitation.

dburton2550.jpg


Parmi les invités sur Offshore, on compte la présence d’Amber Webber qui officie chez Black Mountain. Elle chante sur un titre, est-ce que c’est une expérience que tu aimerais renouveler ?

Carrément. Au départ, je voulais une voix féminine qui chante sur l’intégralité de l’album. Je suis d’abord rentré en contact avec Johnette Napolitano de Concrete Blonde – j’adore sa voix. Je n’ai jamais eu de retour. J’ai alors tenté de rentrer en contact avec Lisa Germano, échec également (rires). Et puis j’en ai parlé aux gens de Secretly Canadian qui m’ont suggéré Amber. J’avais adoré les albums de Black Mountain. Ils ont fait un concert deux semaines plus tard à Bloomington. Je l’ai réquisitionnée après le concert, lui ai joué l’album, on a ouvert une bouteille de vin… A cinq heures du matin, elle a enregistré la partie vocale qui est sur l’album, ça s’est joué en deux ou trois prises. Je l’ai ensuite reconduite jusqu’au bus du groupe, et puis voilà. Ce fut parfait. J’ai eu vraiment beaucoup de chance.

As-tu commencé à travailler sur le prochain album ?

Oui, nous jouons quatre nouvelles chansons sur cette tournée. Ce soir nous n’aurons probablement pas l’opportunité d’en jouer plusieurs car nous ne jouons que 40 minutes. J’ai passé l’année dernière quelques mois à la Nouvelle Orléans. Dix ou douze nouvelles chansons ont été composées pendant cette période. J’ai passé du temps dans la maison d’un ami là-bas, et l’ambiance du disque en sera très imprégnée. C’est bien plus optimiste dans l’ensemble, les chansons sont très positives. Tu sais quoi, je pense même qu’Offshore est un disque assez positif.

Ce sera un retour vers le format épuré d’All Harms end Here ?

Peut-être, mais définitivement avec un sentiment qui véhicule le bien être, All Harms… était plus dans un esprit relax… Cet album sera un peu plus nerveux, la batterie sera plus simple et propre. Je souhaite intégrer cet esprit dans le processus du songwriting et le son des guitares. On verra bien. C’est un peu trop tôt pour rentrer dans les détails.

Pour terminer, peux-tu me donner tes Cinq albums favoris ?

Je te donne quelques albums, on fera le ménage ensuite. (rires)

L’album qui en terme de créativité a eu le plus d’impact sur moi, c’est The Joshua Tree de U2. Ensuite,

Daniel LanoisAcadie

Stars of the lidBallasted Orchestra

Talk TalkLaughing Stock

Lisa GermanoGeek The Girl

The CureDisintegration

Brian EnoAnother Green World

ça fait déjà plus de cinq, j’en ai tellement à donner (rires)

– Le site d’Early Day Miners