La jeune garde new yorkaise doit le prendre pour l’extra-terrestre rock de service mais Jesse Malin continue de tracer son chemin de « beautiful looser ». Une race en voie d’extinction.


Cas bien particulier que monsieur Jesse Malin, rocker isolé et irréductible de la Big Apple. En comparaison avec la branchitude des Strokes, les costards serrés d’Interpol ou la tribu radicaliste des Liars son « classic rock nerveux » paraît dépassé. Et pourtant, quelques atomes crochus nous lient avec le gaillard, notamment une certaine vision du rock vagabond forgé à grands coups de poésie prolétaire chère à Bruce Springsteen, de flamme autodestructive consumée par les Replacements et de ce souffle nocturne et solitaire qui habite depuis quarante ans Neil Young. Jesse Malin, l’ex keupon de D Generation a sur ses trois albums en solo pratiquement érigés une stèle en l’honneur de ces monstres sacrés du rock américain.

Alors même si l’enfant terrible de Brooklyn n’a pas dévié d’un iota de ses plans depuis The Fine Art of Self Destruction et The Heat, et que l’on sent la redite pointer à chaque plage, un sentiment inextricable nous pousse à revenir vers lui : l’étincelle authentique. Car l’on comprend bien par sa démarche que le garçon ne court pas derrière les trophées et les couvertures de magazines. Juste coller au plus près d’une éthique qui coule dans ses veines et à laquelle il restera fidèle jusqu’à sa dernière heure : se faire le porte-parole généreux d’une émotion à fleur de peau.

Glitter in the Gutter, soit littéralement des « paillettes dans le caniveau ». Sans surprise, ce troisième opus est une collection de brûlots rock efficaces et de ballades fragiles au piano, le tout tenant généralement sur moins de trois minutes. Sans crier au génie, Malin est un compositeur habile qui fonctionne à l’économie : ses descentes en force sur “Modern World” et “Black Haired Girl” sont de cette frénésie rock précieuse qui cherche le dépassement. Et cet engouement est contagieux, il y a de l’électricité dans l’air : Josh Homme, Jakob Dylan et son fidèle pote Ryan Adams viennent en renfort consolider le mur Marshall bâti autour de lui. Si l’on juge le vernis de la production trop clinquante parfois, elle ne remet pas en cause l’engagement : lorsque Malin chante un refrain de sa voix confidente, il y met toutes ses tripes, on le sentirait presque prêt à s’immoler sur scène pour faire passer son message (ceux qui l’ont vu en démonstration savent de quoi il retourne). En poète maudit, il nous narre des histoires de filles de petite vertu qui lui ont brisé le coeur, pointe sa condition d’anomalie vivante, appelle les générations futures au soulèvement, le tout emporté par la nostalgie et cette fameuse lueur, imperceptible à l’oeil nu, mais qui atteint directement le coeur des uns et des autres.

Privilège absolu, le « Patron » en personne vient poser sa voix sur le duo “Broken Radio”, et lui vole la vedette. Mais ce n’est pas grave, car pour Malin c’est un peu comme si le pape était venu sanctifier Mère Thérèsa dans sa propre paroisse. A nos yeux, cet instant n’est pourtant pas le plus marquant de l’album. Presque arrivés au bout du voyage, une reprise du classique “Bastards Of Young” des Replacements nous attend. Dénudée de ses guitares bouillonnantes, réduite à un piano poignant, “Bastards Of Young” reste à nos oreilles – et bien qu’il en existe une ribambelle – la plus grande chanson écrite sur la jeunesse insoumise, hymne définitif destiné à tous les Rusty James de la terre. Paul Westerberg est décidément un très grand songwriter, et cette reprise lui fait honneur. Monsieur Malin, veuillez agréer nos sincères salutations.

– Le site de Jesse Malin