MIDI Festival, acte III : troisième édition pour le rassemblement hyérois dont la programmation impeccable n’a d’égale que la beauté du site qui l’héberge.


La villa Noailles : une bâtisse épurée entreprise au milieu des années 20 sur une colline surplombant la jolie ville d’Hyères. Ce haut-lieu de l’architecture d’avant-garde est aussi, pendant trois jours et depuis trois ans, la maison d’adoption de l’association MIDI, qui y a créé un festival à son effigie : pointu, chamarré, intelligent. Cette année plus que les précédentes, la programmation s’annonce particulièrement alléchante. Dans une ambiance agréablement décontractée, saturée de soleil et de cigales – les indéfectibles sponsors très bruyants – ce petit festival, à qui on souhaite de tout coeur une longue et belle histoire, se présente comme un long week-end musical aux échos éclectiques.

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Vendredi 27 juillet

Alors que le soleil, pourtant filtré par la pinède, se montre particulièrement brûlant, débarque le duo toulonnais Möw Môw qui, comme Daft Punk avant lui, ne s’affiche que sous des masques de plastique, à tendance animalière. Parfait pour passer incognito dans la foule du concert, une fois le set terminé. L’ouverture, tout en saturation et hullulements énigmatiques, s’annonce vaguement inquiétante. La pression se dissipe toutefois lorsque Möw Môw enchaîne sur un authentique space-rock guidé par une mélodie aux accents psychédéliques. Alors que la foule commence à apprécier cette musique chaloupée, le duo, en vrai démiurge de l’expérimentation, délivre un morceau mémorable de musique quasi concrète, noyé sous un tonnerre de larsens, avec un beat électronique comme seule référence rythmique. Terrassant. Plus tard, quelques morceaux qui mêlent avec vivacité folk, électro et bidouillages serviront de lente convalescence au public médusé, mais conquis.

Eglantine Gouzy, jeune chanteuse qui a fait du système D une recette musicale, prend la suite. Claviers, basse, piano jouet et bidouillages étoffent, de leur frêle vernis, les comptines douces-amères de la chanteuse. L’alchimie fonctionne à quelques instants, notamment sur un “Frankenstein au Féminin” qui marche sur les traces de Psapp. Mais le manque de moyens, certes voulu, et les textes en français déclamés d’une voix traînante découragent quelques spectateurs.

Arrivent ensuite les américains d’Animal Collective, la tête d’affiche de la soirée, programmée plus tôt que prévu. Trois musiciens dont deux bidouilleurs hors pair, un ingénieur du son en retrait, visiblement très concerné par le rendu sonore du groupe en live. Contre toute attente, le groupe semble bouder les «vrais» instruments acoustiques : c’est apparemment la formule choisie pour cette tournée qui précède la sortie de Strawberry Jam. Une option a priori regrettable, pour un groupe qui distille un folk mutant à grands renforts d’instruments des plus divers. Le premier morceau, lancinant, voit un des chanteurs grimacer, se libérant douloureusement de longues complaintes, bientôt muées en divagations vocales. Les onomatopées aigues, véritables signatures qui ponctuent toute leur performance, rythment cette musique au charme hypnotique. Bientôt, un synthé passé à la moulinette analogique déverse des ondulations organiques qui s’imiscent à jamais dans nos tympans atomisés. Les morceaux – longs, forcément – s’enchaînent, s’interpénètrent et s’autoengendrent, dans un magma électronique souligné par des entrelacs vocaux. Seuls quelques titres, souvent méconnaissables, reprennent l’ambiance planante du dernier en date Feels. Après un rappel rock aux allures survoltées, le groupe quitte la scène, nous laissant intrigués par cette performance scénique déboussolante.

Pour finir cette première soirée, Jane, compatriote d’Animal Collective et duo plutôt impassible, passe derrière les sampleurs. Le programme nous promettait un «spleen sensoriel sublime», mais c’est plutôt à un set d’électro de très belle facture que nous avons droit. Boucles organiques, progressions infinitésimales, textures sonores en impression : ainsi se dévide le fil ténu qui lie la musique de Jane, aussi cérébrale que charnelle, à son public.

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Samedi 28 juillet

La programmation du deuxième jour va confirmer le règne des sampleurs et autres séquenceurs élaborés, déjà à la fête la veille. Chris Hearn, l’unique homme derrière Alps Of New South Wales, a ramené de son Australie natale quelques morceaux pour lesquels le terme lo-fi semble avoir été inventé. Muni de son clavier et d’une boîte à rythmes, il enchaîne, en toute humilité, les titres contrastés où sa voix traînante rivalise avec une ryhtmique syncopée. Le finale, ébauche de comptine a capella et xylophone, finit de susciter chez le public un capital sympathie bien mérité.

L’allure bonhomme, maladroit et apparemment «mal chaussé», Robin Guthrie, grand manitou des Cocteau Twins, entre en scène, seul face à sa guitare et ses multiples pédales à effet. Soit une demi-heure de longues plages atmosphériques où la guitare, sublimée par des effets de réverbération, saturation et répétition à l’infini, dessine dans nos esprits vagabonds de larges volutes colorées. Un moment inoubliable de rêverie à l’ombre de la pinède.

Thieves Like Us : au moins, l’hommage est clair. Ceux qui ont choisi un titre phare de New Order comme nom livrent un concert électro-pop bien maîtrisé, parvenant un instant à faire revivre l’esprit dansant des héros de Manchester. Une guitare, une batterie – des denrées plutôt rares depuis le début du festival – rajoutent un peu plus de coffre au son énorme de ce trio qui parvient à provoquer d’imperceptibles déhanchements dans l’assemblée : la rythmique, piquée sans vergogne à New Order, y est pour beaucoup. Plus tard, un morceau plus expérimental, avec des couplets scandés comme des slogans militants, dévoile une autre dimension du groupe, plus éloignée des dancefloors.

Manchester a décidément la côte, à en croire les néozélandais de Pig Out, qui, le temps d’un set enflammé, sont parvenus à ressusciter les voyages acides de Madchester, cité de tous les excès. Feu les Happy Mondays n’ont qu’à bien se tenir : la gouaille du chanteur et les beats endiablés auront raison du public, galvanisé par cette démonstration des plus communicatives.

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Dimanche 29 juillet

Le duo français Discipline ouvre la programmation du dernier jour. Un nom austère pour une musique qui l’est autant : guitare travaillée, bidouillages ronronnants, samples de voix. La musique de Discipline évoque toute une frange du post-rock, dans son orthodoxie la plus rigide.

Nos oreilles encore habituées à l’amplitude minimale du groupe précédent, c’est avec un sursaut que nous accueillons les canadiens de Caribou, après deux déflagrations qui ont le mérite de nous tirer d’un état latent de torpeur. Et pour cause : le groupe a la spécificité de jouer avec deux batteries, ce qui apporte une profondeur et une précision terrassantes aux nombreux breaks rythmiques. Dans la lignée de Yo La Tengo, la révélation du festival fait cohabiter des thèmes à la guitare électrique, une basse ronflante et une voix souvent hésitante. Le chanteur, en petit virtuose, alterne clavier, guitare et batterie subsidiaire. Entre deux bourrasques de sable, la pop bigarée de Caribou rappellera aux nostalgiques la naïveté des Pastels.

Rudy Santos, autre compatriote d’Animal Collective, enchaîne. Clavier, batterie, guitare, et une note d’expérimentation, comme sur cette ouverture aux soupirs samplés jusqu’au vertige. Bientôt, le rythme se durcit, à travers des compositions sur le fil, qui alternent envolées lyriques à la manière d’Arcade Fire – la classe – et passages tourmentés, pour ne pas dire brouillons. Un peu dépassé par les titres les plus électrisés, le groupe, annoncé comme LA révélation de ce festival, laisse une impression mitigée.

Histoire de ne pas rester sur cette appréciation en demi-teinte, les suédois de The Radio Dept. se chargent de finir en beauté le festival. A l’aide d’une boîte à rythmes et d’une guitare aux arpèges recherchés, le groupe dévoile une pop classieuse et mélancolique. Nappes de synthé, rythmiques 80’s, motifs répétitifs au clavier, le charme discret des très modestes Radio Dept. opère en douceur. Entre un «Thank you so much, really» et un énième «sorry», le son rond et travaillé du groupe se poursuit jusque sur un rappel largement plébiscité.

Et c’est avec une certaine nostalgie que l’on quitte, lentement, le lieu de la Villa Noailles, qui, décidément, n’en finit pas d’être un modèle de bon goût.

– Le site du festival