A l’insu du plus grand nombre, sans tambour ni trompette mais avec beaucoup de guitares, les Finlandais livrent un treizième album tout aussi ingénieux que les douze précédents. Celui-ci sera-t-il entendu ?


Etre rock, finalement, c’est chercher en permanence à se rassurer. En effet, quoi de plus pavlovien que de trouver le moindre disque de rock forcément bon dès lors qu’il provient de Grande-Bretagne ou des States, et se méfier avec la même conviction d’un groupe venu d’un pays connu pour n’importe quoi qui ne soit pas du rock (ou même de la musique), tout en faisant fi de ce qu’il a à offrir… Comment expliquer autrement que par son origine atypique (pour un groupe de rock s’entend) le manque cruel de notoriété subi par 22 Pistepirkko ? Ce trio qui officie depuis près de trente ans livre avec une régularité métronomique des disques toujours très aboutis et d’une richesse intarissable. Sans jouer les paléontologues, il suffit de se pencher sur (Well You Know) Stuff Is Like We Yeah !, nouveau méfait des joyeux éleveurs de coccinelles (le nom du groupe est aussi celui d’une coccinelle à 22 points, charming isn’t it ?) qui fait suite au plantureux et génial Drops & Kicks, le double album paru en 2005.

Les quadras, depuis leurs débuts en 1980, ont systématiquement eu à coeur de toucher à tout ce qui pouvait produire du son le plus simplement possible et en procurant un plaisir maximal (de jeu autant que d’écoute). Du rock au blues, en passant par le folk ou la pop, un seul mot d’ordre au service de la gourmandise du groupe, la simplicité. C’est sa grande caractéristique en même temps que sa grande force, et sûrement le secret d’une telle longévité qui n’empêche pas de conserver ce niveau qualitatif remarquable et cette fraîcheur. Car une chanson de 22 Pistepirkko se retient instantanément, et se sifflote dans la foulée. Et pourtant, comme le souligne ce lieu commun jamais démenti, il n’y a rien de plus difficile que de faire simple.

La dernière livraison des Finlandais perpétue la tradition, en se penchant cette fois sur le blues et le folk plus que sur la pop, elle-même déjà largement transcendée sur son prédécesseur pré-cité. Et le résultat est là, impeccable, irréprochable même tant les trois complices maîtrisent les codas. Il suffit pour s’en convaincre de prendre, au hasard, “Angoulême 2036” et “Sky Girl”, ces deux blues qui se suivent dans le premier tiers : le premier est rugueux et saignant, tailladé par la voix haut-perchée et si particulière de PK Keränen (guitares, chanteur principal) quand le second est plus plombé, crépusculaire chant d’amour interprété cette fois par Espe Haverinen (batterie), tous deux semblant issus du bayou, simplement enregistrés à 50 ans d’écart l’un de l’autre.

Le folk-rock, et son cousin germain le blues-rock sont visités avec autant de bonheur, et il n’est pas exagéré d’avancer que Haverinen et les frères Keränen (Asko est le taiseux, le bassiste chargé des claviers) n’ont rien à envier à des musiciens nés du bon côté de l’Océan, même les plus respectables. “Zombie”, “Crazy Meat”, “Refrain from the Refrain” ou “Suburban Ladyland” sont de redoutables tueries tout juste apprivoisées pour entrer dans un studio (car il va sans dire que le trio excelle sur scène, c’est bien le moins avec cette musique), petites pépites d’or mal dégrossies à peine vidées du tamis. Et les treize chansons de ce treizième album (histoire de mettre toutes les chances de leur côté ?) défilent avec une facilité déconcertante, tant l’écriture est fluide, instantanée, exécutée avec le juste dosage nécessaire et ce petit grain de folie qui rend le groupe inestimable.

Les compositions des Finlandais sont des mètres-étalons, l’exemple modèle à suivre pour quiconque voudrait se lancer dans une carrière. Pas de gras, pas d’effet superfétatoire, jamais d’esbroufe et surtout pas de coup d’éclat. Juste un coeur gros comme ça, une envie de gamins et une méfiance salvatrice vis à vis du culte. Pas besoin de singer ce qui a été fait bien des années avant et souvent bien mieux. De la spontanéité, de l’honnêteté, un peu d’entêtement et beaucoup de distance. Voilà ce qui les fait marcher. Et avec leur facilité à composer, il ne manque rien à ce groupe pour enfin exploser. Sauf peut-être une nationalité autre…

Soyons grand prince, comparons ce qui est comparable pour ceux qui apprécient d’être pris par la main. Disons, pour faire court, que 22 Pistepirkko est à Yo La Tengo ce que The Go-Betweens fut aux Smiths, des contemporains tout aussi magnifiques mais pas nés sur le bon continent. C’est plus clair maintenant ?

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