Le meilleur guitariste des Strokes du monde sort son deuxième album solo. Moins décoiffant qu’avec ses braqueurs du siècle, mais tout de même largement de quoi défriser.


Tout d’abord, quand un membre, aussi éminent soit-il, d’un groupe essentiel s’échappe en solo, il convient de garder raison et de ne pas chercher à comparer ce qu’il propose seul à ce qu’il produit en bande. Les travers seraient faciles : soit on joue à fond la carte de la mauvaise foi et on lui conseille de quitter fissa son groupe tant il semble plus à l’aise seul, soit au contraire on abat le vilain petit canard sous prétexte de trahison. Aussi, quand il s’agit d’Albert Hammond Jr, ci-devant guitariste des Strokes, on voit d’ici l’ampleur du travers, quel qu’il soit. Concentrons-nous donc sur ce seul disque, et si besoin, comparons-le avec l’ensemble de la scène rock.

Partant de là, il est frappant de constater combien l’auteur du déjà remarqué Yours To Keep (2006) est à l’aise quand il s’agit de composer. ¿ Cómo Te Llama ?, petit album de pop-rock bien gaulé, se laisse écouter avec un plaisir sans ombre. Fraîcheur des mélodies, spontanéité du jeu, guitares (logiquement) acérées, Albert Hammond est un authentique songwriter. Son truc à lui, ce sont les brûlots catchy, qui frappent instantanément l’esprit pour ne le quitter qu’après une agression au forceps. Par ailleurs, difficile d’en faire abstraction, le guitariste génial que l’on connaît ne se prive pas en solo d’explorer toutes les possibilités que lui offre sa six-cordes. Ainsi, le petit bonhomme gambade, chemise ouverte, entre les genres, tâtant du reggae avant de se jeter dans les effets noisy, sans oublier les indispensables riffs garage. Il y a même du calypso, un peu de guitare hawaïenne, quelques synthés et surtout une énorme culture rock. Culture intelligemment mise au service de son art, tant il musarde brillamment, taquinant ici les Rolling Stones, là singeant les Pixies, chatouillant plus loin les Beatles ou les Kinks, sans oublier, et c’est bien vu, l’un des groupes phares de sa génération, le sien, les Strokes – sur “The Boss Americana” ou “You Won’t Be Fooled” notamment, de là à y voir un brin de provocation drolatique, il n’y a qu’un pas que l’on franchit sans hésitation.

S’il fallait tergiverser, on relèverait deux freins. Le premier, qu’il contourne sans grand problème, c’est la faiblesse de sa voix : les capacités vocales du new-yorkais sont assez basiques et l’obligent à conserver des tonalités qui finissent par rendre l’ensemble un peu monotone, monotonie heureusement contrebalancée par la palette mélodique franchement variée des chansons. L’autre frein, et là c’est plus gênant, réside dans un manque de souffle, d’énergie : il semble qu’Albert Hammond se retient, hésite à se lâcher, de crainte de s’écrouler, quelques accélérations rythmiques seraient bienvenues, notamment au mitan de l’album – un titre comme “Victory At Monterey” et ses guitares éblouissantes y gagnerait franchement en percussion avec quelques BPM supplémentaires. Et ces deux défauts sont d’autant plus frappants que le mixage du disque est plutôt lisse, tranchant avec une production très contemporaine (faite maison, soulignons-le), en cela très proche de celle des albums de son groupe d’origine.

N’empêche, si l’on revient à notre intention première, à savoir replacer ce disque dans son époque, ¿ Cómo Te Llama ? est un excellent disque, manquant peut-être de coffre, mais regorgeant de soleil. Certaines vignettes offrent même de purs moments de magie, comme sur “Spooky Couch”, long instrumental tout en pizzicati soyeux. Seul, Albert Hammond prouve donc, si besoin, qu’il est parfaitement autonome, à même de livrer un rock riche et profond sans surenchère, sans jouer les gros bras. Ainsi, quel que soit l’avenir de son groupe, le sien est tout tracé.

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