Soufflant le chaud et le froid, cette jeune Suédoise illumine les aurores boréales des coeurs solitaires et de tous les autres avec ses chansons transcendées par sa voix de feu. L’automne risque de durer bien plus longtemps que prévu.


A peine moins de deux ans après Until Death Comes (2006), un premier album charnel qui fit découvrir au monde sa forte personnalité, la diaphane Frida Hyvönen livre Silence Is Wild, subtil alliage de puissance et d’intimité, détruisant en même temps les clichés collés aux basques des chanteuses scandinaves qui se doivent d’avoir une voix haut perchée, voire agaçante. Car c’est la voix qui frappe d’emblée chez la jeune femme. Une voix forte et juste, faite d’un fer à peine extrait de la forge, malléable à souhait mais susceptible de devenir froid, dur et inaltérable si l’émotion le fuit trop vite. Et d’émotion, ce disque en regorge, et pas seulement par la grâce de ce chant phénoménal.

Frida Hyvönen vient de Suède, un pays notoirement connu pour ses contes. Elle perpétue la tradition dans ses textes au réalisme cru, réalisme qui n’empêche pas la pudeur, oscillant entre petites saynètes cabossées et personnages perdus et choyés. Elle déambule au gré de ses humeurs entre des tranches de vie simples et dramatiquement banales soulevant en creux le questionnement du ciment d’un couple pris dans la tourmente routinière — touchante “My Cousin” — comme de la procréation — un thème qui revient souvent, y compris dans ses conséquences les plus amères comme ce récit chirurgical et pourtant tellement humain d’un avortement dans “December”. Ou alors, l’inconstance de l’amour, ses méandres et ses épines, passant du premier — “Dirty Dancing” — à la plus difficilement supportable vie à deux quand un invisible mur d’incompréhension se dresse entre les deux protagonistes — “Science”.
Si les voyages forment la jeunesse, ils la déforment tout aussi facilement. Il faut entendre une blonde scandinave débiter avec un humour plutôt désabusé tous les poncifs qui vêtissent ces femmes aussitôt traversées les frontières de leur immense péninsule — “Scandinavian Blonde”, en toute logique. Londres doit avoir une saveur plutôt acide dans la valise à souvenirs de la jolie Frida — “London” — quand Shangai aurait tendance à émoustiller ses sens — “Oh Shanghai”. Mais la perle absolue de Silence Is Wild se cache dans sa pièce la plus courte, la formidable “Birds”, hymne inépuisable à la danse séductrice et innocente, portée par un rythme aussi linéaire qu’irrésistible et une mélodie toute en fil d’or.

L’autre grande arme de la chanteuse est son piano dont elle sollicite les moindres inflexions. Tantôt simple accompagnateur, tantôt squelette ou alors carrément pièce centrale des chansons, ses touches d’ivoire semblent virevolter sous les doigts de sa maîtresse, menant la barque et imposant son humeur du moment forcément contagieuse, aussitôt transmise à la chanteuse. Pour ne pas lui laisser trop d’espace toutefois, elle se fait aider d’une batterie aussi discrète que martiale, et ça et là de quelques cordes évanescentes qui viennent s’inscrire en contrepoint de cette voix si présente. Des instruments qui pointent leur nez seuls ou en effectif réduit, évitant de facto une charge dramatique inutile. Et malgré ces arrangements décharnés, la musique de Frida Hyvönen n’est en rien malingre, elle figure au contraire un ruisseau sans fin dont rien ne pourrait arrêter le courant. Ce sont d’ailleurs ces arrangements qui apportent la douceur définitive à ce disque, parfois trop marqué par le chant ; car s’il fallait émettre une seule réserve, ce serait ce côté parfois un peu trop démonstratif, tirant plus vers Kate Bush que vers Laura Nyro — deux grandes voix auxquelles on pense beaucoup ici, et qui évoluent dans des univers éloignés mais pas si différents l’un de l’autre –, on aurait apprécié, à un moment, un chuchotement, une pause, une respiration.

Malgré ceci, on apprécie pleinement ce souffle extraordinaire, souffle qui s’explique par la portée aussi personnelle de ces textes qui semblent souvent douloureux pour leur auteure. Et le lyrisme, aussi évident soit-il, s’il est utilisé avec justesse, sensibilité et intelligence comme il l’est ici, ne peut être que salué bien bas. Geste dont on s’acquitte sans sourciller devant autant de talent. Une immense chanteuse vient de (re)naître.

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