Juin, un jour de pluie, une petite salle souterraine de la capitale. Des fidèles attendent depuis une éternité le retour des légendes néo-zélandaises, The Bats, chantres de la pop épurée. Une éternité, oui, mais cela valait la peine d’attendre.


Dans les salons privés de la Toile où se transmettent avec érudition et clairvoyance les histoires souterraines de la pop d’orfèvre — et par temps de pluie du meilleur album pop de tous les temps –, on assiste à la lutte de divers clans, chacun fervents défenseur de leur chapelle. Il y a les fanatiques qui ne jurent que par Shake some Action des Flamin’ Groovies, d’autres invoquent le troisième Big Star, il y a les esthètes de The Left Banke et les indécis qui ne savent quel chef-d’oeuvre retenir dans la discographie pléthorique d’XTC. Et puis il y a les acquis à la cause kiwi, la lointaine Nouvelle Zélande et son label Flying Nun, petit miracle d’oasis Velvetien délocalisé.

C’est en Europe à la seconde mi-temps de la décennie quatre-vingt, par l’intermédiaire d’Alan Mc Gee et de son label Creation, que nous avons découverts ces modestes artisans tous aussi merveilleux les uns que les autres : The Chills, The Bats, The Clean, Verlaines, Tall Dwarves, 3ds, Able Tasman… On vous parle d’un temps postal où chaque album arrivé de cette province aux antipodes relevait presque du miracle. Miracle pour la distance qui nous séparait, mais surtout pour avoir perpétué l’essence du premier album du Velvet Underground, avec ce génie de l’épure si précieux, et dont The Modern Lovers semblait jusqu’ici le seul testamentaire. Et puis la source du label Flying Nun s’est peu à peu asséchée tandis que l’allié Robert Kirby et ses résistants continuèrent contre le vent d’enregistrer des albums vitaux.

Ce septième opus et successeur des retrouvailles avec At The National Grid (2005) nous procure une joie immense. Le temps n’a aucune emprise sur nos quatre oiseaux de nuit magnifiques. The Guilty Office, c’est la victoire du petit lopin bio contre la World Company. Préservée à l’écart dans des conditions naturelles optimales, cette pop kiwi conserve son suc depuis plus de 22 ans. Une vigueur insouciante emplie de poésie servie par la basse élégante de Paul Kean, la barbe de Malcolm Grant (sosie à peine croyable de Robert Wyatt derrière les fûts), la guitare lead au pinceau de Kaye Woodward, la partenaire et « Robyn » attitrée du grand Robert Scott, le tout sous l’égide d’un songwriter discret au talent immense. Car des mélodies insubmersibles, il y en a une cargaison sur ce disque… Des ballades d’une élégance à tomber parterre, “Castle Lights” et ses tourbillons de violon, “The Guilty Office”, le bouleversant final “The Orchard”. Avec la mélodie guillerette de “Crimson Enemy”, on replonge, accro à cette économie de moyen, cette grâce qui ne tient que sur trois accords et cette batterie merveilleuse qui s’emballe avec toujours cette sensation d’être à l’étroit. Il n’y a rien de plus beau. Au bout de ces douze plages, l’évidence : impossible à l’heure actuelle de trouver pop carat plus pur que The Guilty Office.

Comme par hasard sur notre lecteur iTunes, cette fraiche moisson de chansons à la lourde tache alphabétique de succéder à leur premier album, l’inoxydable Daddy’s Highway, épreuve franchie avec les honneurs. Difficile de faire mieux comme test de fiabilité. Avec les chansons de The Bats, c’est plus que de la nostalgie qui revient frapper à notre porte, ce sont des réminiscences de jours heureux, entre vieux amis perdus que la distance a séparés, mais où, à chaque retrouvailles, l’humour reste sur la longueur d’onde, comme au premier jour… Ces amis là, c’est ce que nous avons de plus précieux au monde, on se doit de les garder.

– Le site de Yesboyricecream Records