L’année dernière, le vétéran Bill Dixon (83 ans) revenait aux avant-postes de la scène free jazz avec deux albums qui ne manquèrent pas de faire parler d’eux : l’impétueux Bill Dixon with Exploding Star Orchestra et, surtout, 17 Musicians in Search of a Sound : Darfour, immense disque dont Tapestries for Small Orchestra constitue, à présent, moins le prolongement, voire l’aboutissement, qu’une sorte de percée souterraine à l’esthétique étroitement intriquée. Avec un « petit orchestre » à dominante de cuivres — dont la plupart des musiciens étaient déjà présents sur Darfour — qui comprend quatre cornettistes/trompettistes (Taylor Ho Bynum, Graham Haynes, Stephen Haynes et Rob Mazurek), un clarinettiste (Michel Côté), un violoncelliste (Glynis Lomon), un contrebassiste (Ken Filiano) et un vibraphoniste/percussionniste (Warren Smith), Bill Dixon élabore un univers de l’ordre de la rumination. Murmures diffus, grouillements mystérieux, couinements inquiétants, lent écoulement de sonorités étouffées ou saillantes, ensevelissement de timbres accidentés aux échos mourants, chaque pièce de Tapestries for Small Orchestra procède par accumulation ou évidemment de textures mouvantes et élastiques. Dans un tel contexte, les notions de temps et d’espace s’avèrent déterminantes : la dilatation de la durée permet aux compositions expansives de se propager et de se disséminer, quand le jeu sur les reliefs (contrepoints, saccades rythmiques, touches électroniques) et le recours à un minimalisme instrumental riche de multiples nuances tiennent d’une architecture tout en volumes évanescents et profondeurs insondables. Au fil des huit plages épiques — réparties sur deux CDs — se construit ainsi une sombre fresque sonore à l’épaisseur sensible et aux contours abstraits, un lieu d’effroi qui est aussi un lieu de mémoire (le free de l’AACM y dialogue avec l’écriture avant-gardiste de Charles Ives) et d’empreintes (à l’instar du sable, cette musique semble laisser de traces ou en adopter la forme). Un arrière-monde tapissé de sons magnifiquement tramés d’où sourd l’ultime symphonie d’une époque en perdition. Magistral.

– Le site de Firehouse 12
– Le site de Orkhêstra

– En écoute : « Allusions I »