Avec habileté, les trois alchimistes de Pants Yell ! distillent à la vapeur d’eau l’essentiel de l’indie pop de ces vingt dernières années pour en extraire une combinaison entêtante qui fait tourner la tête et le coeur. Explications.


Alors que l’on serait en droit d’attendre du bon peuple britannique qu’il fasse fructifier un héritage musical solidement acquis depuis des lustres et qu’il y pioche son inspiration à sa guise, il semblerait que, ces dernières années, ce soit encore du côté de chez l’Oncle Sam que l’on ressuscite le mieux les groupes à guitares liquides et l’internationale pop. À croire qu’il faille une certaine distance avec les choses pour pouvoir mieux s’en emparer.
On a vu débarquer il y a peu The Pains of Being Pure at Heart, dont la quasi totalité de la presse loue les vertus et qui fait revivre par procuration à certains les premiers émois Sarah Records. Voici leurs confrères de Pants Yell ! Après le bien nommé Alison Statton (sûrement en hommage à l’héroïne de Young Marble Giants), sorti l’année dernière, le groupe a récemment rejoint le label Slumberland Records, qui fêtera déjà ses 20 ans cette année. Un joli cadeau d’anniversaire !

Qu’avons-nous sur le papier ? Trois garçons en vadrouille qui rappellent étroitement des voisins de palier sans grand charisme, mais qui, au sein de leurs maisons, dissimulent jalousement, sous le matelas, le secret de jolies mélodies. Des garçons qui se sont planqués à l’abri du monde dans une chambre d’étudiant, effleurant des guitares et susurrant des poèmes en faisant toujours bien attention qu’on ne les surprenne pas. Et lorsqu’ils décident un jour d’ouvrir un peu leurs fenêtres sur l’extérieur, c’est un grand bol d’air frais qui vient nous caresser le visage. Aussi vivifiant qu’un titre aérien de The Field Mice.
Un trio palot et pudique qui conjugue les mélopées fines des Go-Betweens avec la mélancolie bucolique d’un Pavement devenu sage (“Frank and Sandy”). Les Smiths en Converse. Faites un effort d’imagination, c’est presque ça. En attendant la pop song parfaite, Pants Yell ! délivre ici un album joliment confectionné. Une faille spatio-temporelle, contenant des interstices de 3 minutes en moyenne, où le temps de l’adolescence est 100 fois rejoué. Sublimé.

Andrew Churchman pleure un peu sur des guitares accroche-coeurs, le ventre palpite. Les filles sont jolies et cruelles et les garçons vulnérables. Ce binoclard qui — sûrement à ses dépens — n’est pas sans évoquer une certaine ressemblance avec Rivers Cuomo, a le phrasé farouche des ménestrels estampillés C86. Pants Yells ! c’est Christchurch, c’est Glasgow. Une communauté d’âmes délicates et sensibles toujours enclines aux chagrins d’amour. On parie que le genre n’est pas prêt de mourir tant qu’il y aura les petites misères de l’enfance et des gens pour la chanter.
Cette mainmise sur le patrimoine jangle pop n’empêche pas notre groupe d’emprunter son propre chemin et d’éviter le pastiche, en trébuchant sur des citations trop voyantes. Certes, il en faudrait beaucoup plus pour crier au génie. Mais à force de l’annoncer partout, on finira un jour par ne plus y croire. Pants Yell ! ne fait table rase de rien, mais renoue, rabiboche les liens et recolle les petits morceaux d’indie pop semés aux quatre vents durant le siècle passé.
Pants Yell ! c’est le devoir de mémoire. Un travail d’historien. “Received Pronunciation” est plein de ces guitares dans les tons pastels, qui oscillent toujours entre la franche euphorie et l’humeur chagrin. Les arpèges chamallows de “Rue de La Paix” sonnent comme une invitation qui ne se refuse pas à aller traîner quelques minutes dehors sous la pluie, l’anorak boutonné jusqu’au cou. Un titre hivernal, qui ô joie , convoque un instant la mémoire de Keith Girdler (Blueboy) et nous ramène à son bon souvenir. Une nostalgie diffuse qui mord les lèvres et fait un peu couler les larmes. Des notes de tête, légères et volatiles, qui font place à quelque chose de plus prégnant, avec surtout l’envie d’y revenir sans cesse. Ça sera comme ça tout au long de cet album. Les références, on y pense, on y pense et puis on les oublie assez vite pour savourer l’essentiel.

Quel soulagement ! L’internationale pop est toujours bien là et a encore de beaux jours devant elle. Pas un revival, mais plutôt un réveil en douceur d’un genre trouble, difficile à cerner, sans réelle étiquette. Qui s’appréhende plutôt comme un arbre généalogique (un cerisier), aux branches multiples. Une immense famille. Ce groupe est voué au succès, ne serait ce que d’estime. À l’avenir, il faudra être à leurs côtés, les suivre du regard et ne jamais se tenir trop éloigné.

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– À voir et écouter : « Someone Loves You »