Le trompettiste Corey Wilkes revient sur le devant de la scène après un premier album remarqué chez Delmark Records. L’une des figures incontournables du jazz underground de Chicago livre avec Cries from Tha Ghetto un disque d’une parfaite maîtrise, avec un goût marqué pour les sonorités urbaines.


Aujourd’hui, nombreux sont les trompettistes de jazz qui pourraient « prétendre » au statut de star : Enrico Rava, Dave Douglas, Wynton Marsalis, Roy Hargrove, Terence Blanchard, Wallace Roney, Christian Scott, Peter Evans, Giovanni Falzonne, ou encore Alex Sipiagin… Des artistes qui n’ont plus rien, ou si peu, à prouver. Quant à Corey Wilkes, il était encore méconnu du public jusqu’à ce que le repère Roscoe Mitchell, saxophoniste et compositeur majeur d’obédience free (cf. l’AACM). Issu de la scène underground de Chicago, Corey a remplacé Lester Bowie au sein de l’Art Ensemble of Chicago, après la mort de ce dernier en 2003. Avec Cries from Tha Ghetto, sorti en mars 2009 chez Pi Recordings (un label qui promeut des artistes de la scène avant-gardiste), Corey Wilkes signe son deuxième disque en tant que leader.

Disons le tout de suite, le jeune trompettiste possède une technique époustouflante (entre Freddie Hubbard et Lee Morgan), un son chaleureux et très pincé. Son mérite est de mélanger les styles et les sonorités. Dès le premier thème, “First Mind”, l’on est certes en terrain connu, avec un hard bop mâtiné de soul et de funk, mais l’ensemble sonne de façon peu orthodoxe. L’autre bonne idée est d’insérer entre les morceaux quelques interludes, baptisés tour à tour “Abstract#1”, “Abstract#2”, etc…, qui sont autant d’occasions, pour le trompettiste, d’explorer le champ des possibles. Avec “Sick JJ”, le thème le plus free, Wilkes nous rappelle aussi pourquoi Rob Mazurek l’a choisi pour son Exploding Star Orchestra. L’auditeur a de quoi y être fasciné par la circulation des idées, à la fois souples et magnifiquement orchestrées. Avec “Levitation”, on revient à un jazz plus straight ahead, à la fois « in » et « out », combinant le hard bop des années 60 (on pense bien entendu aux disques Blue Note de la grande époque). La présence de la guitare de Scott Hesse apporte, de ce point de vue, une saveur qui n’est pas sans rappeler la musique de James Brown. Kevin Nabors est au saxophone ténor, avec un son très chaleureux qui rappelle Coltrane, notamment dans ce duo absolu saxophone/batterie sur “Abstract#2”. Junius Paul est à la contrebasse, Isaiah Spencer à la batterie et Jumaane Taylor en special guest, tap dancer sur une plage.

La musique entendue tout au long de Cries from Tha Ghetto est très festive, surprenante, les morceaux — uniquement des compositions originales et collectives — sont l’occasion de développer une tension et un beat fulgurants. La section rythmique est pleine de panache et de ressources (écouter le démarrage de « Chasin LeRoy »). Aucun temps de répit. Des thèmes comme “Levitation”, “Visionary of an Abstract” sont à ce niveau de vraies pépites. “Cries from Tha Ghetto”, avec ses rubatos à la guitare, est carrément roboratif. A noter, cette balade de toute beauté (“Rain”) au cours de laquelle Wilkes utilise la sourdine (façon Miles), ainsi que la reprise d’une composition de Lester Bowie, “Chasin’ LeRoy”. Un artiste à suivre de très, très près.

– Le site de Corey Wilkes

– Le site de Orkhêstra

– A voir et écouter : « Little Sunflower »