Un rugissement court dans la nuit : The Besnard Lakes, combo montréalais, déchire les ténèbres avec son troisième album Are the Roaring Night. Brillant.


Dans la foule des formations pop qui, aujourd’hui, aiment à jouer des choeurs, chacun tire son épingle du jeu avec plus ou moins de réussite, suscitant parfois un intérêt éphémère, provoquant souvent un ennui poli. L’accumulation de pistes, la juxtaposition de voix et d’instruments participent, en effet, à une même visée : parvenir valeureusement à l’harmonie et s’accrocher — enfin — à cet agencement si méticuleusement élaboré. Le beau serait l’ordre, débarrassé de toute impureté.

The Besnard Lakes Are the Roaring Night se situe précisément à l’opposé : il est un lieu où l’harmonie constitue le terrain originel fragile au sein duquel éclate le chaos. Résolument ancré dans une double filiation — Beach Boys vs rock progressif — l’album, plus qu’une suite de morceaux, est un ensemble articulé, fait de flux et de reflux, lovant progressivement et patiemment l’auditeur dans un cocon tissé de claviers psyché, de cordes et de chants aigus et vaporeux, pour ensuite l’en déloger par vagues électriques successives. Organique, le disque respire, s’apaise et explose tour à tour. L’équilibre initial constitue alors un espace où tutoyer le mauvais goût en déployant des guitares héroïques — que ne renieraient pas un Iron Maiden sous Zoloft — noyées sous d’épaisses nappes ; où oser des lignes de chant à la limite du kitsch et du grandiloquent. Et rattraper alors l’ensemble par une batterie hiératique.

The Besnard Lakes n’appartiennent pas à ces artistes pour lesquels la beauté ne saurait provenir que d’une implacable maîtrise. Ils sont de ceux avec qui elle naît dans la proximité de la laideur et de l’abîme, dans une suite d’écarts entre plénitude et néant. Are The Roaring Night expose ainsi la potentialité de la disparition, dans une tentative de percer les ténèbres pour se maintenir à flot (“Like the Ocean…”) et laisser brillamment, à l’image de la couverture de Volume 1, leur premier opus, surgir une lumière dans la nuit (« How’d you light up the light », “The Lonely Moan”).

Pour Pinkushion, Jace Lasek et Olga Goreas décrivent leur album Track by Track :

Like the Ocean, Like the Innocent

Nous avons scindé cette chanson en deux parties afin que les gens qui achètent le vinyle puisse l’écouter de la façon dont il est vraiment destiné à l’être, c’est-à-dire sans pause. Nous voulons vraiment que les gens écoutent cet album comme une pièce entière de musique, et non pas centrée autour de chansons.

Chicago Train

L’exemple typique d’une chanson écrite avec un orchestre. La première section d’arrangements s’appuie sur une ligne de guitare qui a été enregistrée à part, puis reconstruite autour des cordes, flûte et et de cors d’harmonie.

Albatross

Un autre vieux riff qu’Olga jouait sur sa basse, écrit à l’origine au milieu des années 90. La première chanson terminée pour Roaring Night. Le cor d’harmonies à la fin est basé initialement autour d’une ligne de guitare. Celle-ci peut d’ailleurs encore être entendue, cachée en retrait dans le mix.

Jace Lacek et Olga Goreas, The Besnard Lakes, 2010

Glass Printer

Une très ancienne chanson écrite sur l’enregistreur quatre-pistes de Jace. Il remonte au milieu des années quatre-vingt-dix. Ressuscité et mis à jour.

Land of Living Skies Pt1 et Pt2

Cette chanson a failli être incluse sur Dark Horses (ndlr, l’album précédent), mais nous n’arrivions pas à finir le morceau. La fin a été influencée par la musique de l’artiste/musicien Rodney Graham.

And this Is What We Call Progres

Un autre vieux titre qui remonte aussi aux démos sur quatre-pistes, influencé par « Easy Lover » (ndlr : de Phil Collins).

Light Up the Night

Le refrain de cette chanson a été complètement réécrit juste avant que l’album soit achevé. Composé principalement au piano, avec la ligne de basse d’Olga en tant que « bed track ».

Lonely Moan

Cette chanson avait à la base un rythme bossa-nova. Mais il ne fonctionnait pas vraiment, alors nous l’avons abandonné. Un jour, alors que nous travaillions dessus, la boîte à rythmes bossa a accidentellement été coupée, et nous avons réalisé que c’était vraiment cool. Murray Lightburn, du groupe The Dears, avait un Omnichord (un vieux instrument électronique des années 80), alors nous lui avons demandé d’en jouer dessus. Le morceau le plus « Julee Cruise » de l’album.

– Site officiel

– Leur myspace

– En écoute : “Like the Ocean, Like the Innocent” :