Umut UnganUn nouvel EP et un double album marquent le retour éloquent de Markus Popp.
Difficile de trouver les mots après l’écoute des nouvelles compositions de Markus Popp aka Oval. Deux raisons au moins à cela, deux raisons parfaitement personnelles, sûrement non partageables et partagées.
La première est qu’entre Ovalcommers et Oh, le EP sorti chez Thrill Jockey en 2010, presque dix années se sont écoulées. Ces années représentent une période longue, où l’absence s’efface progressivement, d’où un véritable saut dans le temps : point de nostalgie mais un passé qui surgit dans le maintenant, comme une apparition soudaine, familière. La deuxième raison concerne davantage le contenu : malgré le fait que Popp semble avoir changé radicalement de technique dans ses compositions, on retrouve chez Oh et O la touche sensible, cette esthétique scintillante et éphémère, exploitée certes d’une toute autre manière, mais tout de même présente.
Sur un plan plus objectif, on peut observer et essayer de comprendre la raison pour laquelle Oval possède un statut particulier dans l’histoire de la musique électronique, du moins en ce qui concerne celle des deux dernières décennies. En effet, le véritable apport de cette formation allemande — Markus Popp était accompagné au départ de Sebastian Oschatz et de Frank Metzger, qui quittent le groupe en 1995 — est de faire de la « faute », du « dysfonctionnement » sonore l’élément central de leur activité musicale. Ovalprocess, sorti en 2000 et Ovalcommers, sorti en 2001, illustrent parfaitement cette démarche où les différents morceaux, sans titre, travaillent le rythme et l’ambiance avec de nouvelles matières sonores superposées, considérées jusqu’ici comme des éléments de transition, de bribes, de fragments. Un enrichissement considérable, qui n’est pas sans rappeler les expérimentations sonores amorcées dans les années cinquante, autour de ce qu’on nomme la musique concrète.
Si ces « expérimentations » sonores ont valu à Markus Popp le statut de « technicien » plutôt que de musicien, on ne s’étonnera pas de voir aujourd’hui son EP et double album promus et reçus comme l’oeuvre d’un réel musicien. Cela est en grande partie lié à la déclaration de Popp décrivant son travail antérieur comme un « déni », une « dissection », une activité à rebours en somme. Aujourd’hui, son utilisation des éléments électroacoustiques est pour beaucoup dans cette appréhension d’une sensibilité « vraie », d’une certaine approche artisanale de la composition, contrairement à la programmation pure et simple de ses albums antérieurs. Si la distinction est importante, elle conduit inévitablement à une pensée évolutive de la matière musicale, qui pourrait prêter à confusion. Même si Oval semble adopter une méthode différente, il n’empêche que la structure des morceaux reste globalement identique à celle de ses créations précédentes. En effet, exceptée cette écriture fragmentaire reconnaissable, il s’agit toujours d’un véritable travail de rythme et d’atmosphère qui se trouve enrichi dans les deux albums. Au niveau rythmique, la batterie utilisée permet de plus amples variations, tandis que les éléments électroacoustiques donnent une dimension plus approfondie au contenu sonore.
Par ailleurs, Markus Popp réussit à proposer une réelle expérience de « groupe » avec Oh ; l’accentuation est telle qu’un morceau comme “Hey”, qui ouvre le EP, rappelle d’une manière frappante les arrangements de Tortoise. Le double album en revanche est plus fragmentaire ; avec un nombre important de morceaux (20 pour le premier disque, 50 pour le deuxième), O est composé de petites structures — mais non d’échantillons — qui peuvent, individuellement, constituer des intermédiaires, des lieux transitoires. Au lieu de cela, elles deviennent, articulées ensemble, comme des archives de micro-émotions habilement conçues, de petits gestes inspirés, formant une unité poétique homogène et harmonieuse. Détachés de toute tendance ou de style, Oh et O attestent, encore une fois, que la beauté de la musique d’Oval est celle d’une expression nomade, au charme délicat et fuyant.
– La page d’Oval sur Thrill Jockey
– Ecouter “Kastell” (Oh)
– Ecouter “Ah!” (O)