Sur la plage abandonnée, ce second album des indie-boys californiens déplore la perte de l’été qui semble s’être bel et bien barré. Toujours lumineuse, leur pop se couvre pourtant cette fois de quelques nuages qui obscurcissent l’horizon.


Revoilà donc les jolis garçons de Girls. Viendraient-ils à nouveau câliner nos oreilles avec leurs chansons qui sentent bon le sable chaud et les atmosphères estivales? Une aubaine, pense-t-on, tandis que les derniers signes de l’été nous filent tranquillement entre les doigts. Et bien… oui et non. Car malgré des atmosphères toujours solaires, en guise de « Lust For Life » badin ou de « Laura » rêveur, ce Father, Son, Holy Ghost parait, à bien des égards, bien plus épique et grave qu’à l’accoutumé. Évitant parfois même de justesse le creux de la vague et les abîmes de détresse.

Car si les joliesses sont toujours de mise, ici le cœur gros de Christopher Owens s’apitoie cependant plus violemment tout au long de cet opus au titre biblique. Un véritable réceptacle pour les épanchements et les grands chagrins de ce gamin d’une trentaine d’années, héros malgré lui d’un improbable scénario de vie que l’on croirait emprunté à Larry Clark. Après avoir déroulé, au fil de nombreuses interviews, une histoire rocambolesque et longue comme le bras d’une enfance volée passée à l’ombre d’une communauté religieuse, Christopher préfère plutôt aujourd’hui soigner ses maux en musique. Pris en otage et contraints d’assister à l’exposition impudique de ses stigmates, nous nous trouvons alors ballotés entre des sentiments contraires face à des chansons empreintes de grâce mais aussi parfois de pas mal de pathos et de lourdeurs.

Si on tombe immédiatement d’accord avec le premier titre « Honey Bunny » – convaincante cavalcade saisie à point et joliment hoquetée par notre chanteur de charme, « Die » en revanche, calme rapidement nos ardeurs. Nous qui étions déjà prêt à applaudir des deux mains, sentons perler une goutte de sueur face à cette vilaine parodie de Pink Floyd qui enchaine fissa avec une sorte de mélodie à flûte toute aussi barbante. Christopher Owens, qui avoue sans mal sa fascination pour son ami Ariel Pink, semble ici vouloir s’aventurer sur des terrains similaires qui l’égarent et l’embourbent. Si Pink possède un don inné pour marier comme personne les genres improbables, chez Owens ce type de blague peine sévèrement à fonctionner.
Plus loin « Vomit », nous refera à peu près le même genre de frayeur, avec ce titre à rallonge d’une incroyable complaisance. Il y a fort à parier que le même potage servit par Axl Rose aurait probablement reçu des jets de cailloux.

Mais qu’on ne se laisse pas décourager pour autant, la seconde d’après le musicien nous gratifie d’un autre titre « Saying I Love You » que l’on dirait hérité des Byrds et qui lui va bien mieux au teint. Le titre suivant « My Ma », dédicacé à sa môman et crève-cœur à souhait, tirerait les larmes à n’importe quel dur à cuir. Venant d’une tout autre personne que Christopher, ce titre frôlerait complaisamment la niaiserie. Mais le garçon est d’un naturel si bouleversant, qu’il possède ce don inné de transfigurer n’importe quelle guimauve en sucrerie tout à fait comestible. Cependant, s’il est une chose qu’on ne peut lui enlever, c’est que l’écriture s’est ici singulièrement densifiée. Tout comme la production d’ailleurs. Chœurs gospels et orgue à presque tous les étages, dissimulent alors à peine tout l’amour que porte Owens aux atmosphères luxuriantes du Poem of the River de Felt.

Pour finir arrive enfin « Love Like A River » qui, malgré son déroulement sur une base Rhythm & Blues somme toute des plus classiques, est peut-être LA plus belle réussite de cet album. La voix magnifiquement « soul » d’Owens sied parfaitement à ce titre élégant et recueilli. Rien de trop ni de pas assez ici. Christopher endosse le rôle à la perfection entre Sam Cooke et Buddy Holly, nous astreignant à définitivement la boucler. Ce titre, et le suivant « Jamie Marie » qui apporte une parfaite conclusion à ce Father, Son, Holy Ghost, nous font penser que ce type n’a finalement peut-être pas besoin de tant gesticuler pour arriver à toucher juste. Si Christopher Owens se contorsionne trop souvent, sur de nombreux titres, il devrait savoir qu’il possède pourtant déjà un trésor: de l’âme et une voix. Deux arguments qui pèsent lourd dans la balance et qui devraient parfois savoir amplement se suffire à eux-même.

Girls – « Vomit »