Le blues décapant du guitariste américain, ex-rocker de l’extrême chez Harry Pussy, atteint un nouveau palier « physique » sur son second opus. Séminal.


Après tout, comme le fait justement remarquer Bill Orcutt, “Je suis juste un mec qui essaie de trouver sa propre manière de jouer le blues”. En 2008, l’ancien guitariste de la formation punk/hardcore de Miami Harry Pussy, retiré du circuit alternatif depuis une dizaine d’années, opérait un retour acoustique en solo aussi inattendu que détonant : le rugueux et minimaliste A New Way To Pay Old Debts, développait un blues hors-norme à vous hérisser le poil. Encensé par la critique, notamment Wire magazine, le 33 tours initialement pressé à 500 exemplaires, est réédité par le label Mego, non sans un certain succès.

Rarement aura-t-on entendu un guitariste autant torturer son instrument, aussi bien physiquement que mentalement. Et pourtant, sous ce jeu instinctif, primitif voire indompté -bien que n’ayant rien à voir avec l’école de Takoma, mais plutôt l’improvisation d’un Derek Bailey-, se dessinait en creux une forme de lamentation brute, originelle. Le « Blues », tel que le conçoit Bill Orcutt, enregistré à l’ancienne sur un seul micro, renvoie aux enregistrements historiques d’Alan Lomax (sur son précédent opus, on entendait un téléphone sonner en plein morceau, la prise étant restée telle quelle) même si le niveau d’expression du guitariste est nettement plus radical et singulier. Quelque part, Bill Orcutt fait du Jackson Pollock, à travers ses saillies au médiator, ses « drippings » de notes stridentes. Une approche physique de l’instrument bel et bien virtuose, d’une précision époustouflante qui hérisse puis fascine (la rapidité d’exécution sur l’ouverture « No True Vine » scotche d’emblée). Après plusieurs écoutes, une mélodie du chaos se dessine progressivement.

A l’écoute du tourmenté How The Thing Sings, Bill Orcutt ne semble pas encore avoir payé toutes ses vieilles dettes. L’Américain continue de sculpter sa technique saccadée, sans la moindre concession. Un jeu toujours aussi implosif, d’une violence qui n’a rien à envier à un groupe de death metal, à tel point qu’on pense souvent que les cordes de la guitare (quatre cordes, précisons) vont finir par se casser. Et pourtant, elles tiennent bon. Les drones qu’extirpent Orcutt de ses bends, ses notes quasi déchiquetées, la célérité et la maîtrise d’exécution, ses riffs percutants qu’il accompagne parfois de lamentations ou cris (probablement les deux) libèrent une énergie sidérante. Le finale « A Line From Ol’ Man River » est long de 14 minutes, dont les trois dernières s’ouvrent même à une douceur inédite, superbe mélancolie à fleur de peau, dirons-nous…. Il faut écouter How The Thing Sings, car ce qui nous parait inhabituel aujourd’hui, demain nous sera familier.

Dernier point, certains puristes zélés insisteront sur la qualité d’écoute du format vinyle… Mais franchement, à ce degré de l’approche de l’enregistrement lo-fi, il y a-t-il vraiment une différence avec le support CD ou digital ? Le confort d’écoute n’existe pas chez Bill Orcutt, et c’est bien mieux ainsi.