Eminent membre de Cold Cave, le musicien américain Dominick Fernow développe sous ce nouveau projet une autre conception de la violence…


«I don’t consider Prurient to be music». Dominick Fernow

Ceux qui suivent de près les diverses pérégrinations de Dominick Fernow vous l’assureront : la nouvelle orientation sonore du musicien est une évolution logique dans le contexte de ses récents projets. Le musicien américain, membre de Cold Cave et à la tête de Hospital Productions, produit depuis peu sous le pseudonyme de Vatican Shadow une musique industrielle minimale et qui peut sembler bien loin de la dureté d’un Prurient de History of Aids ou encore de And Still, Wanting.

Or on aurait tort de penser qu’il renonce par là à une certaine idée d’exclusion et de répulsion que propagent ses compositions. Car s’il est plus complexe dans sa violence, Bermuda Drain paraît décidément de cette veine-là, agressive et fulgurante. En plus de l’usage des synthés, la mélodie y fait son apparition dans une forme explicite, alors qu’elle était plutôt maltraitée dans les travaux précédents ; c’est aussi le cas de la voix, posée, parlée, chantée, bref, dans tous ses états et non seulement comme hurlement. Se dessine donc chez Fernow une nouvelle posture, qui comprend une redistribution des ingrédients sonores. Ces derniers sont à proprement parler inversés : la mélodie qui voulait percer à travers la surface rigide se constitue désormais comme cette surface même ; elle devient le décor d’où le cri se dégage, et cela non sans agressivité ; ce qui donne à l’album cet aspect si dérangeant et perturbateur, dérangeant car l’agitation trouve sa source dans le calme, et perturbateur car l’attente est déjouée constamment. Les morceaux s’enchaînent et ne se ressemblent pas, mais l’univers de la colère y transparait, originel et identique.

Il ne fait pas de doute que Bermuda Drain divise: malgré son apparente simplicité et son accessibilité, c’est un album insaisissable, brouillant les catégories et obligeant à élargir la définition même de la musique noise. Visiblement, l’ambition de Fernow s’inscrit dans cette volonté de rendre à cette dernière sa véritable force en la détachant d’une sonorité spécifique quelconque. Dans un récent entretien, le musicien déclare rêver d’une communication directe des sentiments qu’il désire véhiculer à travers Prurient, cela grâce à l’effacement total du médium. Il ajoute par ailleurs que la noise, à l’origine, est cette manière de créer qui interpelle, qui suspend le jugement de goût. Malgré ce désir « impossible », les affirmations de Fernow attirent l’attention sur la possibilité d’une évaluation critique relevant ni de la normativité ni de l’avis totalement subjectif. Bermuda Drain rappelle d’une certaine manière cette entaille profonde chez celui pour qui l’expérience de la musique n’est pas un simple compagnon de route; elle est « agonie et douleur et désarroi et paralysie et aliénation », volonté de savoir et de faire-savoir.

Le site de Hospital Productions

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