Musique de nuit teintée de réverbérations, l’art touchant d’un homme seul conjurant ses rêves et les moments les séparant.


Noir et blanc fondus en gros grains dégradés de gris et lumière aveuglante au cœur de la nuit. La photo spectrale ornant la pochette de Believers rappelle celle de Tamer Animals. Deux silhouettes de face chez Other Lives, une seule de dos pour A.A. Bondy. Un même sentiment de mystère angoissant. Cet homme perdu sur une route déserte est-il en marche ou va-t-il s’effondrer ? À l’écoute, certainement un peu des deux.
Les deux albums sont cinématographiques, celui de Bondy particulièrement cinématique (« discipline de la mécanique qui étudie le mouvement des corps, en faisant abstraction des causes du mouvement, généralement modélisées par des forces et des moments »).

C’est effectivement l’impression donnée par les morceaux de Believers, bande son d’un film où défile un paysage immobile. Comme si elles s’étaient imposés d’eux mêmes à leur auteur, chansons qu’il interprète en flottant dans l’espace et que l’on écoute tels des mirages.
A.A. pour Auguste Arthur, prénom baroque et impossible, romantique à s’en faire péter les artères. En Alabama, Aug. Art. (rebaptisé Scott) a enregistré trois albums entre 1997 et 2003 avec Verbena (le premier fut produit par Dave Grohl et le groupe apparut comme un descendant crédible de Nirvana), avant de filer sa propre maille en solo, avec ce Believers comme troisième disque. Passage d’un groupe dur à une solitude tendre, ce parcours rappelle celui d’Elliott Smith, dont Rob Schnapf fut aussi producteur. Si Bondy n’a pas le génie mélodique de Smith, il partage avec lui une sensibilité exacerbée. Pour finir les présentation, notons que A.A. est signé sur Fat Possum, label indie blues rock à la crédibilité en peau de croco.

D’un bout à l’autre, Believers déploie une totale cohérence au travers de dix variations autour des figures archétypales de la solitude urbaine, soupirs profonds et regard de chien battu en options. “The Heart Is Willing” et ses échos fantomatiques nous introduisent dans un monde qui transpire l’obsession. Le rythme métronomique, l’ambiance monomaniaque et la guitare scalpel évoquent les pétroleuses anglaises de Rayographs. Angoisse que tend à adoucir “Down In The Fire (Lost Sea)”. En fond, ce feedback flottant renvoyant aux toiles d’araignées pendues au plafond d’Idaho. La ballade éprouvée finit par ralentir, se suspendre puis disparaître dans les brumes océaniques, décrochage habité et touchant. On se réveille allongé dans le désert, la voix de Bondy comme astre brûlant. De “Skull & Bones” coulent les larmes asséchées de cet être solitaire désespérément en vie. “123 Dupuy Street” convoque de nouveaux spectres transitionnels, alors que le début de “Surfer King” lance une fausse piste avant de dérouler une mélodie au classicisme assumé. Sad country pour cow-boy paumé sur des rouleaux le ramenant sur le sable. Puis le très beau “Hiway/Fever” enfonce le clou rouillé, puisant son énergie motrice dans une ferveur pudique, comme un voile de soie jeté sur un brasier. “Drmz”, sa batterie toute sèche et sa slide plaintive exposent une nouvelle fois cette alliance de tristesse et réconfort.

Déboule enfin “The Twist”, possible chef d’œuvre transcendé par son propre désespoir. La basse assommante et la guitare qui finit d’étriper sur une nappe de synthé lugubre, ou comment la new-wave peut pousser en milieu désertique – «far away from the world» – remémorant les ténébreux texans I Love You But I’ve Chosen Darkness. Un nom qui aurait bien collé à l’ami Bondy. Tout est dit, et “Rte.28/Believers” peut reprendre sa route réverbérée jusqu’au prochain bar. Là où se déroulera “Scenes From A Circus”, dernier slow avant extinction des feux.
Bondy sait composer des morceaux qui font pleurer les pierres et les interpréter avec un minimum d’effets. Sa voix porte le tout avec la grâce de l’insomniaque, country slow-core mainte fois entendue et pourtant toujours aussi magnétique.

En écoute, « Down In The Fire (Lost Sea) » :