Ecouter le quatrième album du Californien, c’est s’imposer un rythme, le sien, et s’offrir une addiction, la nôtre. 


Ce nouvel opus néo-folk minimaliste de l’Américain de Birmingham (Alabama) est livré avec une touche « repeat » automatique. Car oui, une fois lancée et après avoir accepté de vous acclimater, vous ne pourrez renoncer à cette boucle musicale qui ne s’arrêtera plus. Vous serez rentrés en vol stationnaire.

A.A. Bondy a pris 8 ans pour se libérer de son « paquetage » folk traditionnel. Son précédent album, Believers (2011), nous avait séduit par sa construction et sa ligne précise avec notamment le titre « Skull& Bones » qui laissait présager une forte capacité à nous envoûter durablement. Ses deux autres albums, When the Devil’s Loose (2009) et American Hearts (2007), semblent quant à eux très loin désormais, même si l’on y trouve cette même tristesse contemporaine, qui est au cœur de son inspiration et de la pièce.

Avec une intimité rare, ce baladin du monde moderne nous embarque avec talent dans un voyage groove new-age qui ne supporte aucune interruption, pas même entre les morceaux, qui d’ailleurs pour votre confort s’enchaînent sans pause. Chaque tonalité, chaque parole sont savamment posées, arrangées, rien ne dépasse, rien n’est en trop. Le texte quelquefois déroutant, quelquefois engagé mais toujours mélancolique est porté par une voix délicate, est à considérer comme une impulsion minimale supplémentaire. Un timbre et des mots choisis jalonnent notre parcours musical, comme des balises pour continuer à surfer, à flotter en orbite en toute quiétude.

UN « TEMPO-REVE» ADDICTIF

Le personnage de sa pochette qui n’a pas de tête est sans aucun doute un indice pour nous indiquer que le meilleur est à l’intérieur, là où nos synapses et nos rêves s’entremêlent, entre joies, tristesses, souvenirs et envies. Un peu comme s’il nous invitait à prendre enfin le temps pour poser notre propre « brain » sur ce corps, pour vivre ce rêve éveillé fusionnel. On va croiser dans ce vaisseau Brian Eno, pleurer avec Chris Isaak, rythmer ses pensées sur le blufunk de Keziah Jones et s’échouer avec les tonalités de Max Richter.

Pour la petite histoire, l’enregistrement de ce quatrième album a été achevé un jour d’été 2018 dans son home studio. Le lendemain même, sa maison était détruite par l’incendie le plus meurtrier de l’histoire de la Californie, tuant 85 personnes. Le rescapé n’a probablement pas réussi à sauver des flammes sa guitare sèche, mais cela ne semble pas bien grave, tant ce nouvel album en est totalement – et délibérément – soustrait. Certes, on entend encore ça et là quelques accords noyés de guitare électrique sur l’inaugural « Diamond Skull », et Lost Hills » où une quatre cordes rugueuse semble avoir été empruntée à Idaho. Mais pour le reste, des claviers à l’atmosphère spectrale occupent l’espace. Le natif de Birmingham (Etat d’Alabama), a écrit, interprété et joué ses 10 compositions simplement entouré de synthés analogique et d’un kit de batterie rudimentaire. Cette domination synthétique confère à l’album toute sa singularité. 

Même une lap steel, l’instrument traditionnel de la country par excellence, ici suréverbérée sur le magnifique “In The Wonder”, ne parvient pas à faire dévier les chansons de leur étrangeté. Après avoir dégusté cette pilule comme une mise en bouche, Bondy nous satellise ensuite littéralement avec trois titres majeurs : « The Tree with the lights », « Images of love » et « I’ll never know ». Il se dégage de ces titres une pop minimaliste et atmosphérique un peu crasse, quelque part entre Timber Timbre, Suicide et The Idiot d’Iggy Pop. Bondy y traîne sa solitude nocturne, froide et urbaine. Sensation accentuée par trois instrumentaux dont « The Tree With The Lights » hommage évident au Bowie de la période berlinoise ou encore “Pan Tran” aux claviers bardés de lucioles.

Parfait pilote, A.A. Bondy nous emmène très loin en seulement 36 minutes et 10 morceaux. Ces chansons forment un tout indissociable et on réalise rapidement que l’écoute partielle d’Enderness relève de la gageure ou d’un manque de temps, celui que nous devrions nous offrir. 

Espérons que même si sa maison californienne et son studio ont disparu dans les flammes, Bondy saura retrouver le chemin des studios plus rapidement que précédemment. Ou alors a-t-il d’ores et déjà imaginé dans 8 ans nous offrir un autre voyage spatial renaissant : « 2027 l’odyssée Bondy » ?

Fred Jacob et Paul Ramone

Fat Possum / Differ-ant – 2019

https://www.aabondy.co/

En concert le Mercredi 22 Mai 2019 à L’AERONEF à  LILLE et le jeudi 23 mai au CHARLATAN à GAND (Belgique)

Tracklisting : 

  1. Diamond Skull
  2. Killers 3
  3. In The Wonder
  4. The Tree With The Lights
  5. Images Of Love
  6. I’ll Never Know
  7. Fentanyl Freddy
  8. Pan Tran
  9. #Lost Hills
  10. Endernes