Avec ce troisième album, le groupe de Boston trace un kaléidoscope pop plein de raffinement, qui mériterait de lui ouvrir les portes du panthéon annuel de l’indie-pop.



Après le séduisant mais parfois inégal Held In Splendor, ce Plaza a été conçu pendant la dernière tournée nord-américaine du groupe, à partir de démos anciennes ou de compositions plus récentes. Cette disparité dans l’écriture des morceaux donne au disque sa variété, sans nuire pour autant à sa cohérence. Le chant est toujours partagé par le tandem vocal constitué des deux fondateurs du groupe, Shane Butler et Anna Fox Rochinski.

Par rapport aux efforts précédents du groupe, Plaza profite de la patte experte de Jarvis Taveniere (Woods) qui a apporté une production plus aboutie, tandis que la section rythmique a été rendue plus robuste par l’arrivée d’un nouveau bassiste. Résultat, Quilt n’a jamais sonné aussi concis et ciselé, comme en témoigne la diablement efficace et rock’n’roll « Roller », emmenée par une basse voluptueuse et un solo de guitare nébuleux

Au fil de l’écoute, on croise, au gré d’une large palette de styles musicaux (pop psychédélique, americana, folk british voire quelques touches de shoegaze), l’héritage de glorieux aînés (les guitares jangly de Fairport Convention, les harmonies aériennes des Kinks, le psychédélisme avant-gardiste des Beatles période Rubber Soul et Revolver) ; et l’influence de non moins illustres « contemporains » (le Pavement de Crooked Rain, Crooked Rain dans le court riff accrocheur d’ »O’Connor’s Barn », le SF Sorrow des Pretty Things dans la voix légèrement voilée de « Searching For », ou celle, noyée dans la réverbération, de « Your Island », qui rappelle Lush).

L’orchestration de l’ensemble est luxuriante : des flûtes et une harpe bucolique (« Passersby »), un solo de guitare dissonant qui s’étire dans une distorsion finale ( » Own Ways »), un violon qui virevolte dans une danse funk avant de devenir plus strident (« Hissing My Plea »), des cymbales qui impriment un rythme syncopé et un tempo langoureux (« Your Island »). La délicatesse des arrangements est subtilement révélée d’une chanson à l’autre, avec pour points d’orgue les splendides « Padova » et « Eliot St. », dont la guitare acoustique et la discrète ligne de piano nous transportent dans une petite ville de campagne, baignée dans la mélancolie.

Le tempo des chansons emprunte souvent le rythme d’une paisible croisière, avant qu’un accord ou un élément mélodique ne vienne bouleverser cet équilibre tranquille dans une embardée inattendue. Ainsi, sur « Passersby », la sonorité de guitare proche du sitar qui plonge la chanson dans une atmosphère plus sombre.

Tout aussi riches, les textes font allusion à des expériences de perte et de rupture amoureuses (« Why was it so hard to love you then ? », s’interroge Shane Butler sur « Eliot St. »), de frustration et d’isolement, y compris sur un air enjoué (« Roller »). Sur « Own Ways », la confrontation avec la disparition d’un proche est évoquée avec courage et éclat : « Don’t be afraid / It’s only a death which is only a saying / So begin tomorrow ». Les paroles abordent également des situations plus légères, avec une touche de poésie. Comme sur « Passersby » qui dépeint le rapport à l’autre dans l’espace public, ce moment furtif et parfois intriguant où l’on croise le regard d’un passant étranger.

Quilt ne se contente donc pas de multiplier des références bien digérées. Le groupe de Boston leur apporte substance et personnalité, et sublime des idées anciennes avec une vision et une production moderne, affirmant sa propre voix tout en embrassant diverses influences. C’est probablement là que réside la différence entre la copie sans saveur et l’hommage pertinent et jubilatoire.

Assurément l’une des belles surprises de ce début d’année.

En concert le 18 mai au Batofar, à Paris