L’esprit du vaudou capturé par le musicien du Kent Paul Roland. Total plaisir !


En 1994, Dr John (aka Malcolm John Rebennack Jr) auteur de l’habité et phénoménal Gris-Gris, ‘initie’ Paul Roland à son expérience du vaudou et lui décrit son quotidien et vécu de musicien à la Nouvelle-Orléans. En 23 ans et à deux reprises seulement, Roland s’exprimera sur le sujet, via deux titres, “Jumbee” en 1987 et “Voodoo Doll” en 2004. Mais en 2017 son esprit est sous influence. Un projet le fait fantasmer depuis des lustres. Roland improvise alors sur de longues séquences de batterie, et là où les mots auraient dû accompagner distinctivement ce processus, il ne sortira que quelques borborygmes et onomatopées. Sur ces « sons sans mots », il va alors créer de simples mélodies, et quelques courts textes, auxquels il ajoutera des sonorités de flûte, d’orgue et de marimba. Ces démos structurées et formées, il requiert à son chevet un sorcier du son. Ce dernier n’a qu’une mission : recréer «note pour note» la bande son du film White Zombie réalisé par Victor Halperin en 1932.

Où on y retrouve en tête d’affiche, et en chair et en os, le grand Bela Lugosi, tout juste auréolé par son rôle de Dracula dans le film de Tod Browning. Produit par Halperin production, via les infrastructures des studios Universal, ce film à faible budget est considéré comme le premier long métrage sur les zombies. Il traite avec poésie des origines du mythe vaudou. Ce projet de bande originale n’aboutit pas. Mais Paul Roland rêve encore, il s’entoure alors pour le concrétiser d’une pléthore d’artistes italiens (producteurs, musiciens et amis). Ils investissent le studio d’enregistrement Elfo, situé dans la province de Plaisance, où finalement sera enregistré cet obscur objet du désir. Le novateur et poétique White Zombie se voit pour le coup complété et transformé.

Le voyage s’annonce dépaysant. Il sera unique et fantasque. Cet opus ne ressemble en effet à rien qu’a pu produire Roland dans une discographie pourtant pléthorique et copieuse. On l’avait laissé sous forte influence sixties et psychédélique en 2015 avec l’excellent Bitter and Twisted. L’histoire n’est plus la même.

 

Haiti 1932, la nuit est claire ce soir-là, la lune pleine et radieuse éclaire une nature foisonnante. La faune des noctambules bat son plein, leur musique est régulière et presque rassurante, mais bien vite, tout se fige. Résonne alors d’une voix d’outre-tombe : «They are not men, they are dead bodies ». Un sermon se fait entendre : la grande prêtresse (Paola Tagliaferro formidable chanteuse italienne conviée tout le long du disque) entérine l’ambiance. Son imprécation est plus vraie que nature. Une séquence de percussions efficaces impulse le rythme. Des guitares aux intonations sixties et garage lâchent leurs riffs tranchants. Paola Tagliaferro chante en français-créole. Les mots ne sont pas articulés, la syllabisation semble absente. La voix rauque et menaçante de Paul Roland conclue le morceau qu’il ponctue régulièrement par des cris sourds et profonds. Des coassements de crapauds résonnent de partout. Des extraits de films s’intercalent. Une grande partie du disque est résumé dans ce titre fascinant. “Song Of The Black Toad” carillonne le réveil des zombies. Les extraits de dialogues insérés semblent tout droit sortis du film original. Cet album est aussi truffé d’effets sonores et fourmillent de trouvailles en tout genre (chœurs types africains, hurlements, hululements, sons étranges, incantations …) l’immersion est totale et prenante, l’effet surround est garanti avec trucages ! La production est au top. La rythmique – batterie, percussion – est souvent puissante et tribale, les guitares sont omni présentes, de sacrés spécimens ont d’ailleurs été utilisés en studio – pour les connaisseurs : la guitare ‘pirate’ de Ron Wood ou la Tricanta Veena (guitare à 3 cols faite de bois millénaires de Paolo Tofani) – White Zombie s’écoute avec les yeux, véritable album concept de studio on imagine les musiciens et producteurs se régaler à sa confection.

On poursuit avec “Summoner Of Souls” l’autre versant du disque – plus classique et posé – à l’abri des rites vaudous et de ses prêcheurs. La chanson est plus structurée, une flute adoucie même le tempo, la mélodie est belle et mélancolique. C’est une ballade ténébreuse. Sur les conseils de ces amis italiens Roland n’a pas seulement axé son disque sur les chants vaudous, mais a aussi écrit quelques nouveaux morceaux, ou même ressuscité quelques vieux titres laissés à l’abandon. “20 Years Ago” et “Wake Madelena Wake” en sont. Le premier est acoustique et renvoie au passé de Roland (sa face pop folk acoustique), le second est un petit clin d’œil à Madeline -la fiancée zombifiée par le rituel vaudou dans le film d’Alperin – et réduite à l’état d’avilissement. “Wake Madelena Wake” est dans la lignée des plus belles romances semées par le musicien tout au long de sa discographie. Epuré et imparable. Mais à son grand dam ; sa plus belle mélodie, accompagnée de ses mots les plus convaincants, ne suffiront pas à briser ce sortilège.

Cet album est une découverte de tous les instants et un mélange incroyable des genres. “Wanga Wanga” mêle les chants vaudous en français-créole avec des sons ‘morriconesques’ et des guitares 50’s. Avec “A Ring Of Silver Coins” on perçoit le cliquetis des pièces d’argent, la chanteuse Annie Barbazza  sur un rythme tribal fait un festival vocal, son duo avec Paul Roland est lancinant. Le vieux sage et local “Papa John” a mille histoires à nous conter. Malgré son grand âge sa musique pulse un max. Le tempo est entraînant, la mélodie est popisante avec une touche de psychédélisme. Un solo de flute – comme on en a plus entendu depuis des lustres – est la cerise sur sa bouteille de bourbon. “Are We Not Men?” appuie là où ça fait mal. La rythmique est lourde, le son des guitares est dur, les esclaves possédés travaillent mécaniquement à leurs tâches. ‘Servants Of The Spirits’ amplifie leurs aliénations. C’est le morceau le plus psyché et halluciné. Le gardien des cimetières et son chapeau haut de forme sont évidemment de l’expédition. Il n’est pas loquace ; ses femmes le sont pour lui : “Summoning Baron Samedi” et “Baron La Croix” provoquent les esprits ; ils ne se vénèrent que le samedi. “Mambo Jo” clôt l’aventure musicale à 100 à l’heure. L’atmosphère est électrique. Le baron Roland est possédé par sa musique. Ici finit le voyage.

 

Label : Dark Companion – 2017

https://www.darkcompanion.com/

https://www.facebook.com/RealPaulRoland/

 

Tracklisting : 
1 Song Of The Black Toad
2 Summoner Of Souls
3 Ti Bon Voodou
4 Are We Not Men?
5 Wanga Wanga
6 Sugar Mill Scene
7 Papa John
8 Bitter Sleep (Funeral In The Road)
9 A Ring Of Silver Coins
10 Wake Madelena Wake
11 Baron La Croix
12 20 Years Ago
13 Chant of the Black Cockerel
14 Summoning Baron Samedi
15 …Servants Of The Spirits
16 Mambo Jo