La folk intimiste de l’Irlandaise Brigid Mae Power est d’une pureté émotionnelle rare..


En analysant froidement, il est difficile de ranger la musique de Mae Power dans un courant. Elle a beaucoup écouté Joni Mitchell, Tim Buckley et Stevie Wonder. On la compare à Marissa Nadler, Karen Dalton. A chacun, après l’écoute fortement recommandée de cet opus, de dessiner son singulier portrait-robot musical.

En 2018, l’irlandaise et auteure-compositrice de 31 ans Brigid Mae Power trace son chemin. Bien discrètement, elle a rejoint le cercle des artistes pratiquant une folk musique hantée et lumineuse. Tout n’a cependant pas coulé de source pour cette femme. Les éléments à une période de sa vie lui ont été contraires. Son histoire est compliquée et ponctuée de traumatismes (physiques et psychologiques). Elle a néanmoins réussi à se libérer ; dans la foulée du scandale Weinstein et du mouvement #MeToo, sa démarche a pris un autre poids (en 2017 elle postera sur la plate-forme de microblogage Tumblr son récit). Tout ceci a forcément interféré dans son travail artistique. Son officiel premier LP éponyme de 2016 est clairement (dans les textes) une expression de ces traumas. Remarquée outre-Manche, sa folk intimiste séduisante, construite sur quelques cordes et un liseré de piano, a révélé une voix captivante et pure. Une découverte merveilleuse pour beaucoup.

Son second album flotte dans la même dimension : là où le temps semble se figer et où la nature suit naturellement son cours. L’instrumentation minimaliste des seuls musiciens Mae Power et Peter Broderick (mari et femme depuis 2016) affichent une simplicité et une belle authenticité. On n’ose interrompre leurs tours de chant. Ces dix vignettes folks indie s’effilochent tendrement. Power atteint son objectif avec magie. Dans l’idéal cette musique s’écoute au petit matin ou à contrario à l’orée d’une tardive veillée nocturne ; on imagine les magnifiques paysages irlandais de Galway (leur région) interférés comme source d’inspiration méditative. Mais cette nature aussi belle soit-elle reste coiffée d’un ciel ténébreux. Ces nouvelles compositions n’ont clairement emmagasinées aucun rayon de soleil. Un léger spleen affleure, mais à son écoute The Two Worlds génère un vrai plaisir, on est positivement absorbé par l’atmosphère intimiste des compositions, très certainement alimenté par un feu intérieur. Enregistré dans le comté de Down (Irlande de l’est), la production est aussi assurée par Broderick (Efterklang, Nils Frahm, Laura Gibson). Interprète, compositeur et arrangeur, son implication est synonyme de discrétion et justesse.

Les présentations sont faites sur “I’m Grateful’’. Le charme et la magie opèrent instantanément. Si Mae Power maintient ce niveau de délicatesse et d’émotions, on tient alors un bijou intimiste. “I’m Grateful’’ est une réflexion sur le bonheur ; un hymne à la joie qui ne montre pas sa joie. Les quelques instruments (guitare, percussion) dispersent parcimonieusement leurs accords ; l’ensemble est enveloppé par le chant limpide et magique de Brigid.

La songwriter irlandaise a principalement enregistré ses chansons en quasi direct dans le studio Analogue Catalogue de County Down, elle y recherchait une acoustique parfaite ; elle a aussi bénéficié d’une petite salle de concert. Le premier single “Don’t Shut Me Up (Politely)” est la résurgence d’une vieille blessure ; depuis son retour sur ses terres irlandaises (elle a vécu plusieurs années à New-York) elle est confrontée aux mentalités conservatrices et patriarcales des institutions irlandaises. Musicalement tout y est plus tendu ; un bourdonnement psyché et le timbre de voix de Mae (bien décidé à ne rien pardonner) rappellent cette distension.

“The Two Worlds” est un autre moment de repli sur soi. Broderick à l’unisson de Power participe en marquant le refrain par un furtif chuchotement. Tout y est parfait. Sous son apparente homogénéité cet opus brille de subtiles variations. Il suffit de bien peu : quelques sonorités celtiques (“Peace Backing Us Up”), un mélancolique accordéon (« Let Me Go Now »), un piano songeur (“How’s Your New Home”) ou jazzy (“So You’ve Seen My Limit”). La guitare acoustique n’est jamais rangée dans son étui.

The Two Worlds est un havre de paix. Son pouvoir de séduction confère au magique. Tout le mérite – et le talent – reviennent à son auteur. Brigid Mae Power, retenez bien ce nom.

 

Tompkins Square Records – 2018

https://www.facebook.com/brigidpowermusic/

https://tompkinssquare.bandcamp.com/

 

Tracklist :

  1. I’m Grateful
  2. Don’t Shut Me Up (Politely)
  3. So You’ve Seen My Limit
  4. On My Own With You
  5. Is My Presence In The Room Enough For You
  6. Down On The Ground
  7. Peace Backing Us Up
  8. How’s Your New Home
  9. The Two Worlds
  10. Let Me Go Now