Virage nashvilien pour l’esthète Californien, sur ce cinquième album très référencé et intimiste.


En septembre dernier, le Californien Jonathan Wilson dévoilait deux chansons inédites enregistrées à Nashville, « Skinny Legs » (finalement écarté de l’album) et « So Alive ». Un choix géographique qui n’a rien du hasard, en regard à l’orientation profondément country des deux morceaux, à rebours des nappes synthétique et de la luxuriance pop americana de Rare Birds, son splendide précédent album paru en 2018. 

Dixie Blur, cinquième opus de l’orfèvre Wilson, s’inscrit ainsi dans ce prolongement esthétique traditionaliste, le songwriter touche-à-tout s’étant acoquiné pour l’occasion avec le producteur Pat Sansone, fidèle collaborateur de Wilco, dans le mythique studio Sound Emporium, Mecque country rock fondée en 1969, où toutes les légendes du genre ont décoré les murs des lieux avec leurs disques d’or. L’esthète de Laurel Canyon s’est de plus entouré de prestigieux musiciens de sessions, dont le violoniste Mark O’Connor, le guitariste Kenny Vaughan, l’as de la pedal steel Russ Pahl et pilier du studios, Jim Hoke (harmonica, hautbois, entendu récemment sur l’album de A Girl Called Eddy) et le claviériste Drew Erickson (déjà présent sur Rare Birds, et croisé notamment sur le monumental Titanic Rising de Weyes Blood). 

Tout cela pour  vous donner une idée de la couleur très référencée de l’album. Mais une telle “dream team” enfante-t-elle irrémédiablement un chef d’oeuvre ? Pour être franc,  Dixie Blur ne joue pas dans la même catégorie que Rare Birds, émotionnellement parlant. C’est un disque plus intimiste, dominé par un piano spleenétique et moins prompte aux expéditions sonores, qui prend le contre-pied de son prédécesseur, épatant mille-feuille synthétique war on drugsien. Du coup, on est moins surpris, moins emporté par ce son policé, cet exercice de style ou caprice de musicien parfaitement assumé, tout en restant conscient que Dixie Blur est un disque qui comptera dans le temps, car conçu comme tel pour durer, peu importe son intensité finalement.

Les 55 minutes de Dixie  Blur s’ancrent ainsi dans les racines sudistes (les origines de Wilson), Stetson et rodéo man bien en vue sur la pochette, dans une division bien entendue fantasmée : que ce soit le pur exercice country desperado avec « In Heaven Making Love”, honky tonk sur “El Camino Real” avec solo de violon du cru. Mais aussi plus proche de notre sensibilité, “New Home”, à la mélancolie drapé d’un piano ample et lap steel onirique, dans la veine réverbérée d’un “Holocaust” de Big Star. “So Alive”, laisse entrevoir la “Patte” Sansone assez proche de Wilco dans son versant country, cavalcade rythmique aux balais, solo de violons. “Enemies”, seul pièce délibérément grandiloquente de l’album  (avec ses choeurs “la la la” fédérateurs”) , pourrait postuler sur le dernier album de Springsteen, ôde également à une Amérique mythique, désormais loin, très loin de nous et du cauchemar trumpiste. « Fun for the Masses », joue dans la catégorie feutrée façon Lambchop, sans toutefois tutoyer leurs sommets… « Platform », malgré son tourbillon d’arpèges folk façon « Every Body’s Talking » de Nilsson, manque d’aspérité pour réellement se démarquer. Quatorze pistes très variés, et certainement trop longues, qui ne pourraient pas tenir sur un simple 33 tours, cette période que Wilson bénit tant.Libre alors à nous de composer notre 33 tours idéal, notre Dixie Blur

Finalement, c’est le sublime single « Oh Girl », qui pourrait résumer toute la quintessence du disque, et ces paroles qui considèrent la douleur sentimentale comme un acte existentiel : « Quand quelqu’un nous manque, c’est le genre de blessure que le cœur devrait être reconnaissant de ressentir ». Ou encore « Riding The Blind », ballade limite floydienne, cette vieille obsession de Wilson (à tel point qu’il est devenu musicien de scène pour Roger Waters). Chassez les démons, ils reviennent au galop.

 Bella Union/Pias – 2020

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Tracklisting :

1 Just For Love (3:15)
2 ’69 Corvette (4:22)
3 New Home (3:46)
4 So Alive (4:50)
5 In Heaven Making Love (2:52)
6 Oh Girl (4:57)
7 Pirate (3:21)
8 Enemies (3:47)
9 Fun For The Masses (3:06)
10 Platform (3:34)
11 Riding The Blinds (4:47)
12 El Camino Real (3:05)
13 Golden Apples (3:19)
14 Korean Tea (6:04)