Un duo psyché californien malsain féru des films de G.A. Romero, répand une dose de noisy pop toxique sur leurs incantations garage. Infectieuse bête au bois dormant.
Question révolution musicale, il semblerait que c’est à Los Angeles que ça bouillonne ces temps-ci. Deux cents kilomètres plus au sud, à San Diego précisément, quelques aficionados du néo-psychédélisme sont manifestement épargnés par ces enjeux existentiels. Voyez Crocodiles : ce binôme rock ne bouleversera pas l’ordre établi. Leur mur du son hautement convulsif n’en a pas moins des allures de forteresse imprenable. La paire Brandon Welchez (chant, programmations) et Charles Rowell (guitare) s’inscrit dans la grande tradition des duos rock effrontés tels The Jesus and Mary Chain, Spacemen 3 et Suicide. Leur credo se rapproche justement de ceux des trois duos : des guitares stridentes guidées d’une pointe d’arrogance sur trois accords. Là-dessus, rajoutez une aisance innée pour l’accroche mélodique – rectifications – pour le crochet mélodique percutant et vicieux.
Après vérification, leur premier album viscéralement lo-fi, sorti chez Fat Possum en 2009 (label qui s’émancipe de son catalogue blues et a récemment recruté The Walkmen et Wavves), ne laissait pas présager d’une telle montagne. La production, cette fois confiée aux mains expertes de James Ford – un anglais féru d’analogique distingué chez Simian Mobile Disco – propulse leur noisy pop bien au-delà des sphères garage. Sleep Forever est un disque de pop cauchemardesque et kaléidoscopique, un kidnapping d’influences : nappes électroniques flambées au lance-flamme shoegazing, orgue hammond psychotique, et autres séances d’exorcisme krautrock sont condensés sur huit titres, trente cinq minutes et autant de pistes enregistrées exploitées…
Sur scène, on imagine que les Crocodiles n’ont pas besoin d’écran de fumée, leur larsen capiteux s’en charge magistralement. Côte ouest oblige, le culte psychédélique est prégnant, une esthétique pourtant pervertie par cette jeune garde, qui appartient à la génération de l’après 2001, voire post crash boursier. Sleep Forever dresse le constat d’une jeunesse qui préfère fuir la réalité. Leur musique est un grand échappatoire où se mêlent une certaine vision du romantisme noir et celle de films de genre (leurs pochettes en attestent). Le planant “Girl in Black”, couchée sur un lit de distorsion, exhale malgré son accalmie un parfum de chaos moderniste. De même, “Stoned to Death”, bad trip lancinant court-circuité par des fréquences ultra-sons aigües à faire tomber un chien raide mort, est un auto-sabordage en règle.
Perdu dans cette stupéfiante chimère, s’extirpent inexplicablement de Sleep Forever quelques purs singles assassins : le fantastique “Hearts of Love” lorgne vers du Phil Spector réactualisé au goût du jour, dimension macabre comprise. Enfin, si les Stone Roses et Kevin Shields devaient pactiser, le détonant “Mirrors” serait une formidable déclaration d’intention. On en verserait des larmes de croco, tellement c’est beau.
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Vidéo « Hearts of Love » :